Les rêveries du retraité solitaire

Y a-t-il des sujets tabous dont on ne devrait jamais parler ? Je crois qu’on ne se pose jamais cette question en s’attendant à ce que la réponse ait un caractère universel et absolu. En général, pour la plupart des gens, il y a des sujets délicats comme la politique et la religion que l’on devrait éviter dans certaines circonstances et avec certaines personnes. C’est le contexte qui fait toute la différence.

J’ai souvent eu des conversations et des discussions intéressantes sur la politique et la religion sans me sentir mal à l’aise. C’était la plupart du temps en particulier, avec des personnes que je connaissais bien ou que j’apprenais à connaître, mais c’était aussi quelquefois avec des groupes de personnes que je ne connaissais pas toujours très bien mais avec qui je me sentais en confiance. Nos opinions politiques et nos croyances religieuses sont des expressions de nos valeurs les plus profondes. C’est la raison pour laquelle, selon moi, ce sont des sujets aussi délicats. Je crois qu’au départ il doit y avoir une attitude mutuelle de respect et une ambiance propice à ce genre d’échanges.

On est assis autour d’un feu de camp. Quelqu’un, en regardant les étoiles, se met à parler de l’infini et de la place que nous occupons dans l’univers. Il s’en suit une discussion qui peut en amener certains à parler de leurs croyances religieuses. La veille des élections, des retraités qui se rencontrent régulièrement dans un Tim Horton pour prendre un café parlent de politique. Ils savaient dès le départ qu’ils allaient parler de politique et ils connaissaient assez bien les opinions des autres. Ils parlent pour parler et se taquinent un peu ; et même si le ton monte pendant quelques instants, il redescend aussi tôt. Les vieux copains se quittent bons amis en se disant en riant « À la prochaine chicane ! » Ce sont là des circonstances idéales pour parler de religion et de politique, mais ça ne se passe pas toujours comme ça.

Je me souviens qu’il a quelques années, lors d’une croisière dans les Caraïbes, Maria et moi étions assis tous les soirs à la même table que trois couples d’Américains. C’était un peu après l’élection de Trump. Deux des hommes, farouches partisans de Trump, ne cessaient de parler de politique et d’exprimer ouvertement leurs opinions malgré leurs femmes qui essayaient de changer de sujets. Je crois que s’ils faisaient ça, ce n’était pas tant pour partager et discuter que pour nous provoquer et critiquer nos valeurs et nos opinions. J’ai trouvé ça très agressant. Tout le monde autour de la table, sauf les deux gars, étaient mal à l’aise. Parler politique et religion avec des gens comme ça et dans de telles circonstances, c’est comme si des étrangers entraient chez vous sans enlever leurs chaussures et sans même vous saluer, et qu’ils se mettaient à critiquer tout ce qu’il y a dans votre maison : les meubles, les couleurs, les bibelots, les tableaux. Je crois que la raison pour laquelle on en est venu à se poser la question à savoir s’il y a des sujets tabous, ce sont des expériences comme celle-là. Nous en avons tous vécus.

Un autre sujet considéré délicat est la sexualité. Comme pour la religion et la politique, on préfère habituellement parler de ça avec des gens en qui on a confiance et avec qui on se sent à l’aise. C’est une question de pudeur. Je crois qu’avec la politique et la religion, on devrait aussi avoir de la pudeur. Nos opinions politiques et nos croyances sont intiment liées à ce que nous sommes, à ce que nous pensons et aux valeurs que nous avons acquises à la suite de nos réflexions et des expériences que nous avons vécues.

Tout cela pour dire que je crois qu’il y a effectivement des sujets qui peuvent être tabous mais que ça dépend beaucoup de la façon d’en parler, avec qui on en parle... et des circonstances.