Un petit détour
Elle ne pouvait plus vivre seule dans sa maison. Il avait fallu la vendre. Sa fille était venue la chercher pour l’amener à la résidence. Ses choses étaient dans le coffre de la voiture et elles étaient prêtes à partir. Elle s’est tournée vers sa fille et lui a dit : « Avant d'aller à la résidence, pourrais-tu juste faire un petit détour ? J’aimerais aller une dernière fois dans le Parc de la Gatineau. »
C’était presque la fin d’une belle journée de novembre et le soleil commençait à descendre lentement derrière les collines. Elles ont pris la direction du chemin de la Mine jusqu’au début du sentier qui mène au lac Pink, pas loin de la rue du Plein Air. Sa fille a stationné la voiture et lui a demandé : « Veux-tu que j’aille avec toi ? » Elle lui a répondu qu’elle préférait être seule et qu’elle ne serait pas partie longtemps.
En s’appuyant sur ca canne, elle s’est mise à marcher lentement sur le sentier où elle avait tant de fois couru et skié. Ce parc, elle le connaissait très bien. Elle le connaissait par cœur. Elle y avait passé tellement de temps pendant toutes ces années. Elle s’est souvenue des entrainements d’automne quand les feuilles changent de couleurs et que l’air devient plus frais. Elle courait jusqu'au lac avant d'en faire le tour, montant et descendant, entre les arbres et les rochers, les longs et étroits escaliers de bois accrochés au flanc des collines. Elle s’est souvenue des fois où elle s’arrêtait près du lac pour regarder la neige tomber doucement sur les sapins quand elle faisait du ski de fond juste pour le plaisir. Elle s’est souvenue de l’excitation des compétitions quand elle ne voyait que la piste et rien d’autre devant elle. Elle s’est souvenue des longues randonnées pédestres ou à vélo avec son mari et leurs enfants quand il faisait chaud et que les oiseaux chantaient dans les arbres autour d'eux. Elle s’est souvenue aussi de la dernière fois qu’elle était venue dans le Parc de la Gatineau avec son mari quelques mois avant son décès.
Elle s’est arrêtée de marcher et elle est restée debout pendant quelques instants, immobile au milieu du sentier, comme pour mieux s’imprégner des odeurs, des couleurs et de l’air frais de l’automne. Elle voulait apporter avec elle, dans la mémoire de son corps et de ses sens, quelque chose du Parc de la Gatineau.
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Quand elle est retournée à la voiture, sa fille lui a demandé si elle se sentait triste. Elle lui a dit : « Non, je ne me sens pas triste. Je me sens heureuse et comblée. Dans la vie, il y a un temps pour chaque chose. J’ai eu de la chance de vivre ici, près de la nature, et j’en suis très reconnaissante. Allons-y ! Je ne voudrais pas être en retard pour mon premier souper à la résidence. »
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