Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Souvenirs de ski de fond et du temps qui passe

Pour nous la saison commençait tôt, au début septembre, bien avant que le premier flocon de neige ne tombe sur le Parc de la Gatineau. On se rencontrait un soir pendant la semaine et le samedi matin pour l’entraînement d’automne. Nous venions de différents horizons mais nous étions unis par notre amour du ski de fond. Pendant nos séances entraînement, nous faisions de la course à pied et du ski à roulettes, nous parlions technique et des meilleures façons de préparer nos skis pour les rendre plus rapides...et nous attendions la neige.

 

Pendant la période d'échauffement, nous parlions un peu de nos vies et de notre travail. Quand l’entraînement commençait pour de vrai, ça devenait plus difficile de parler. Nous n’avions pas tous pour objectif de participer à des compétitions mais nous voulions tous devenir de meilleurs skieurs et améliorer nos performances. La plupart des participants avaient entre trente et quarante ans. Il y avait aussi Hélène, une infirmière d’une cinquantaine d’années, qui était en très bonne forme physique. Il y avait Janine, Louise, Dominique, Claude, Jacques, Jean-Pierre, Yvon, Peter et Madeleine, et quelques autres dont j'ai oublié les visages et les noms. Notre entraîneur, Marc, avait fait partie de l’Équipe du Québec et sa copine, Élizabeth, elle, avait été membre de l’Équipe nationale de ski de fond. Après les entraînements, j’allais m’acheter un six-pack de bière au dépanneur en me disant qu’un gars qui s’entraînait comme je le faisais ne pouvait pas avoir un réel problème d’alcool.

 

Quand la neige arrivait, nous étions comme des enfants. Nous avions ce que nous appelions nos skis de roche que nous utilisions quand il n’y avait pas encore assez de neige pour tout couvrir. C’étaient de vieux skis que nous n’avions pas peur d’abimer.  Pendant les quelques mois que duraient les compétitions, je ne buvais pas. Il n’y avait pas d’entraînement le samedi matin parce que, la plupart du temps, il y avait des courses qui avaient lieu un peu partout dans la région. Même moi qui ai toujours été un peu solitaire, j’aimais l’ambiance et la camaraderie de ces rencontres. Il y avait de l’excitation dans l’air, et la fébrilité qui précédait le départ de la course se mêlait à l’anticipation de la souffrance physique et du stress qui nous attendaient. Une fois la compétition terminée, nous nous retrouvions devant un café pour décortiquer les moindres détails du parcours et pour parler techniques, alimentation, équipement et fartage.

 

Je me souviens qu’au cours d’une ce ces rencontres, après une course où nous avions tous particulièrement bien performé, Gilbert, un professeur d’économie au Collège Algonquin, nous avait expliqué dans son français toujours impeccable, et en articulant chaque mot, que son épouse, qui était diététicienne, lui avait préparé ce matin-là une omelette sans jaunes d’œufs, et surtout non accompagnée de jambon ou de bacon, parce que, disait-elle, la combinaison des jaunes d’œufs et de la viande pouvaient nuire aux performances de son mari. Après qu’il a eu fini de parler, Éric, qui venait de gagner la course et qui l’avait écouté avec un sourire un peu malicieux au coin des lèvres, avait déclaré avec son accent typique de la Côte-Nord : « Ben moé, j’ai mangé trois œufs à matin, tabarnack, avec les jaunes, pis avec quatre tranches de bacon. » Éric était mécanicien pour les motos. Il avait une capacité cardio-vasculaire hors du commun. Pendant l’été, il ne faisait pas de vélo ou de course à pied comme les autres. Il faisait de la moto. Il arrivait à l’entraînement d’automne avec une dizaine de kilos en trop. Il se remettait en forme en quelques semaines et gagnait la plupart des courses. Ça en faisait chier plusieurs.

 

Je me souviens aussi d’un gars qui ne s’entraînait pas avec nous mais que je croisais souvent sur les sentiers de ski de fond. On pouvait le sentir de loin, longtemps avant de le voir…parce qu’il fumait toujours un cigare en faisant du ski. Il devait avoir une soixantaine d'années et je trouvais que c'était très vieux à l'époque. Je me souviens aussi d’un skieur italien qui a participé à une course de cinquante kilomètres vêtu d’un complet trois pièces et d’un chapeau melon. Il a terminé la course avec un très bon temps et il ne semblait pas avoir trop souffert du froid.

 

Maintenant, il m’arrive très rarement de croiser sur les sentiers les skieurs avec qui je m’entraînais. Il y a Jacques Dumont qui fait encore, à chaque année, depuis des décennies, les cinquante kilomètres du Loppet de Gatineau. Je vois mon entraîneur Marc et sa femme Élizabeth deux ou trois fois par saison. Ils ont maintenant cinq enfants. Il y a aussi Gilbert Girard, le gars de l’omelette sans jaunes et sans bacon, qui a ralenti un peu à cause d’un problème de dos. Éric Lévesque, le gars qui mangeait des œufs avec les jaunes et du bacon avant une course, a cessé de faire du ski depuis longtemps, quand il a arrêté de gagner. J’ai rencontré Janine Boileau par hasard il y a quelques années, pas sur les sentiers de ski de fond, mais à Cuba.   

 

Il y a plus de trente ans que j’ai fait ma dernière compétition. Aujourd’hui, en faisant du ski de printemps seul dans le Parc de la Gatineau, sous un radieux ciel bleu et le soleil qui me chauffait la couenne et ramollissait la neige, j’ai repensé à tout ça. J’ai revu des images et des visages, et ça m’a donné le goût d’écrire ce texte qui parle de camaraderie, du bonheur d’être dans la nature à faire ensemble quelque chose qu’on aime…et du temps qui passe.

 

 

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02/04/2019
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