Un affadissement de l'esprit ?
Le poète québécois Alain Grandbois aurait dit ou écrit la phrase suivante : « Le bilinguisme produit un affadissement de l’esprit. »[1]
Il est évident pour tout le monde que le fait de comprendre et de parler plusieurs langues est une richesse. Ça ouvre l’esprit et ça permet de voir et de comprendre les choses d’une autre façon. C’est comme avoir une maison avec plusieurs fenêtres au lieu d’une seule. Je ne crois pas que Grandbois faisait allusion à cela. À mon avis, ce qu’il a dit ou écrit se situe à un autre niveau, et doit par conséquent être abordé et compris dans une perspective différente. C’est ce que je vais tenter de faire dans cette article.
La langue dans laquelle nous parlons et pensons, c’est notre façon d’entrer en contact avec le réel, mais aussi avec l’abstrait et l’imaginaire. C’est par le biais de notre langue que nous pouvons affiner notre raisonnement et nos pensées. Notre langue, avec son histoire et ses artistes, avec les cultures dont elle est le véhicule, avec ses expressions populaires et ses vieux proverbes, influence notre raisonnement et nos pensées bien plus que notre raisonnement et nos pensées influencent notre langue. La langue est un projet collectif qui a commencé bien longtemps avant nous. À part quelques artistes et inventeurs qui créent de nouvelles réalités, très peu de personnes contribuent à enrichir et à transformer leur langue.
Je crois que ce que Grandbois a voulu dire, c’est que quand deux langues se développent en même temps dans un cerveau qui n’en a encore maîtrisé aucune, ça peut créer des interférences et de la confusion. C’est comme un couteau à double tranchant qui ne coupe pas bien ni d’un côté ni de l’autre. Au lieu de devenir plus claire et limpide, la pensée finit par s’empêtrer dans le sens des mots et dans des structures et des syntaxes différentes qui se disputent le contrôle du cerveau.
En droit international, on dit que quand on n’habite pas un territoire, on ne le possède pas vraiment. Par contre, quand on connaît bien son territoire, on sait où se trouvent ses richesses et on sait aussi où se situent ses frontières. Quand on connaît bien sa langue, même si on est bilingue ou trilingue, on sait quel sens ont les mots semblables (faux-amis) selon qu’on les utilise dans l’une ou l’autre langue, et on sait aussi comment structurer les choses différemment quand on passe d’une langue à l’autre.
Dans ce contexte-là, je crois que Grandbois a raison. Apprendre en même temps plusieurs langues sans pouvoir en maîtriser aucune nous prive de l’instrument le plus puissant de développement et d’expression de la pensée. C’est comme faire de la randonnée pédestre ou du ski de fond dans des sentiers qui ne sont pas balisés. On ne sait plus vraiment sur quel sentier on se trouve. Malheureusement, dans certains contextes socio-cultuels, il est pratiquement impossible de remédier à une telle situation. Nous ne pouvons que la constater et la décrire.
Pouvoir communiquer dans d’autres langues, en particulier l’anglais, nous permet de voyager et d’échanger avec des personnes d’autres cultures. Ça permet également aux scientifiques et chercheurs du monde entier de partages leurs découvertes et de les rendre accessibles à un plus grand nombre. Personne ne nie cela. Le problème c’est quand l’apprentissage d’autres langues se fait au détriment de la clarté de nos réflexions et de notre expression. Pour employer une vieille expression française, c’est là où le bât blesse.
[1] Ne cherchez pas cette citation en ligne. Je l’ai cherchée. Elle n’y est pas. Comme je l’ai déjà écrit dans un autre article, tout ce qui a été dit ou écrit ne se retrouve pas nécessairement sur Internet.
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