Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Le mieux est l'ennemi du bien

Vous avez probablement vu cette vidéo d’une fillette russe de quatre ans qui peut parler sept langues. Au cas où vous ne l’auriez pas vue, la voici :  

 

https://www.youtube.com/watch?v=7nzpnQZcFw0

 

 

Pendant les quarante ans qu’a duré ma carrière de professeur de français langue seconde, j’ai dû enseigner à quelques milliers d’étudiants. Quelques-uns étaient doués et motivés, d’autres doués mais pas motivés, certains motivés mais pas doués, et finalement il y avait ceux qui n’étaient ni doués ni motivés. Il va sans dire que les résultats étaient très différents. Les meilleurs, même s’ils conservaient l’accent de leur langue maternelle, pouvaient participer à des conversations et des discussions en français avec une relative aisance. Les moins bons, après avoir reçu des centaines d’heures de formation, ne pouvaient ni comprendre ni s’exprimer à un niveau même très élémentaire. À part l’année que j’ai passée à enseigner à des enfants de niveau élémentaire en Louisiane, tous mes étudiants avaient en commun le fait qu’ils étaient des adultes. Ils avaient donc dépassé l’âge idéal pour apprendre à parler d’autres langues sans effort et sans accent. À la lumière de cette réalité, et si l’on considère les différences qui existent entre les aptitudes et la motivation de chacun, les résultats obtenus par mes étudiants étaient tout à fait prévisibles et normaux.

 

J’ai fait quelques recherches pour voir comment cette fillette avait pu atteindre un tel résultat. J’ai appris qu’à partir de l’âge de dix mois, sa mère qui était professeur de langues, s’est mise à lui parler uniquement en anglais. Après ça, jusqu’à l’âge de quatre ans, elle a été ainsi exposée à différentes langues qu’elle a apprises de la même façon que nous apprenons notre langue maternelle. Son parcours nous aide à mieux comprendre mais n’explique pas tout. Nous sommes ici en présence d’une apprenante qui n’est pas seulement douée pour l’apprentissage des langues mais d’un génie. Elle est un peu comme Mozart pour la musique.

 

Pour moi qui n’ai appris à parler qu’une seule autre langue, l’apprentissage a été long et laborieux. Je n’ai pas eu la chance d’être exposé à l’anglais lorsque j’étais enfant. J’ai appris le vocabulaire et la grammaire de base à l’école, et c’est seulement à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte que j’ai pu passer de la théorie à la pratique. Le résultat n’est pas trop mal, mais ça n’a rien à voir avec le niveau des ceux et celles qui ont appris à parler d’autres langues pendant leur enfance. Je vais toujours parler avec un accent, et quand je suis fatigué ou que je manque de concentration, ça ne sort pas très bien.

 

Il y a un proverbe français qui dit : « Le mieux est l’ennemi du bien. » Je ne sais pas comment vous le comprenez, mais pour moi ça signifie que la recherche de la perfection peut nous décourager d’accomplir quelque chose quand on sait que le résultat ne sera pas parfait. Je crois que ça ne devrait pas nous arrêter. Il y a des retraités qui décident d’apprendre l’espagnol pour garder leur cerveau actif et pour pouvoir mieux communiquer quand ils vont à Cuba, au Mexique ou en République Dominicaine. Ma sœur Michèle et son amie Thelma, toutes deux retraitées, ont récemment commencé à faire de la peinture. Leurs tableaux ne seront probablement jamais exposés dans des galeries d’art, mais c’est une activité très enrichissante qui leur apporte de la satisfaction et du bonheur. Ma conjointe Maria est toujours en train d’apprendre quelque chose de nouveau : l’espagnol, la guitare, de nouvelles recettes, de nouveaux mots. Depuis qu’il est retraité, mon ami André a publié des livres en ligne et écrit de nombreux articles sur son quartier natal de Limoilou. Moi-même, avec mes petits articles qui ne sont lus que par quatre ou cinq personnes qui ont toutes plus de soixante ans, je trouve beaucoup de satisfaction et de plaisir à structurer mes textes et à les rédiger. Je le fais avec autant d’application et de sérieux que si je m’adressais à un auditoire de plusieurs milliers de personnes.

 

En regardant la vidéo de cette fillette de quatre ans qui s’exprime avec autant d’aisance dans sept langues, on serait tenté de se dire « À quoi bon ? Je suis trop vieux pour apprendre une nouvelle langue ou pour commencer à écrire ou à faire de la peinture ou du yoga. » Je crois que l'apprentissage et la création artistique sont parmi les activités qui nous apportent le plus de plaisir et de satisfaction. Si on ne regarde le résultat qu'en fonction d'objectifs irréalistes, nous pourrions nous priver de précieux d'instants de bonheur. Rappelons-nous que le mieux est quelquefois l'ennemi du bien.

 



21/05/2018
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