Les rêveries du retraité solitaire

Un des auteurs invités à participer à l’émission La grande librairie cette semaine était Alice Zeniter. Elle a parlé de son dernier ouvrage intitulé Comme un empire dans un empire. Au cours de l’entretien, elle a fait l’observation suivante : « Dans notre société de l’instantané, nous sentons l’obligation de porter un jugement très vite sur tout. » À bien y penser, je crois qu’elle a raison. Nos opinions se résument trop souvent à des slogans qu’on a entendus et qu’on a adoptés sans trop réfléchir.

Plusieurs savent tirer profit de cette manie que nous avons acquise, à force de passer trop de temps en ligne, et plus particulièrement dans Facebook, d’adopter des opinions et des prises de position sans réfléchir à leurs implications. C’est ce qui me fait parler de surenchère et de manipulation des opinions.

Ceux qui veulent nous manipuler prennent comme point de départ une opinion qu’ils savent que nous partageons avec eux, et ils l’étirent, comme un élastique, pour la rendre plus radicale. Ils nous disent : « Étant donné que vous pensez déjà ceci au sujet de cela, je vous invite à aller un peu plus loin. »

Voici quelques exemples :

• Dans les années 1950 à 1980, les sympathisants communistes disaient à ceux qui partageaient globalement leurs opinions, mais qui avaient des réserves par rapport aux goulags et à la vingtaine de millions de morts en Chine : « Si vous critiquez ce qu'à fait Staline ou ce qu'est en train de faire Mao, et que vous ne défendez pas leurs actions, vous n’êtes pas de vrais communistes. »

• À la même époque, en Amérique latine, des dictateurs sanguinaires proclamaient, et essayaient de faire croire, que ceux qui étaient contre la torture et l’assassinat des syndicalistes et des prêtres, religieux et religieuses qui se réclamaient de la théologie de la libération, étaient des communistes.

• Aujourd’hui, les partisans de Trump disent aux républicains tièdes et aux indécis : « Si vous critiquez Trump et que vous vous attendrissez sur le sort des enfants séparés de leurs parents et enfermés dans des cages, vous êtes contre le contrôle de l’immigration ; et si vous êtes en faveur d’un systèmes de santé gratuit et universel comme au Canada et dans les démocraties européennes, vous êtes forcément des communistes. »

Les manipulateurs savent tirer profit de mouvements de contestation légitimes pour les détourner à leur profit et étirer un peu l’élastique. Ils profitent, par exemple, de la dénonciation du racisme envers les autochtones au Canada, pour faire un rapprochement avec la défense de la langue française. J’ai vu, il y a quelques mois, ce slogan dans Facebook : Non au racisme, y comprends lorsqu'on s’adresse aux francophones en anglais. » Il n’y a aucune nuance. C’est comme si un touriste japonais qui s’adresse à moi en anglais à Québec et un serveur qui ne peut pas me servir en français dans un restaurant de Montréal, c’était la même chose. Pour émettre une telle opinion, qui peut être très légitime dans certains cas, ça prend un contexte…et le contexte, c’est très important.

Tout cela pour dire que pour se faire une véritable opinion sur quelque chose, il faut penser et réfléchir. Il faut surtout prendre le temps de confronter ce qu’on lit et ce qu’on entend avec nos valeurs et nos convictions profondes. Le problème, c’est que plusieurs n’ont jamais pris le temps de se demander quelles étaient leurs valeurs et leurs convictions profondes…ou même s’ils en avaient.