Le chauffeur de taxi et la chanteuse
Un peu après son décès en 1975, on a présenté à la télé un reportage sur la vie de la chanteuse égyptienne Oum Kalthoum. À ce moment-là, j'avais terminé mes études en littérature française à l'Université d'Ottawa et je venais de commencer à travailler comme professeur de français langue seconde. J'habitais seul dans une chambre pas trop loin de l'endroit où je travaillais, et j'avais un téléviseur minuscule que quelqu'un m'avait donné.
Je n'avais aucune idée de qui était Oum Kalthoum, et encore aujourd'hui je connais très peu de choses d'elle, si ce n'est ce que nous a dit à son sujet Hakima, une collègue de travail et amie d'origine algérienne, un soir où elle nous avait invités, Maria et moi, avec une autre collègue de travail d'origine chilienne, à manger un couscous chez elle avec sa famille. Une fois le repas terminé, et près avoir fumé le narguilé et esquissé quelque pas de danse sur de la musique algérienne, nous avons écouté Oum Khalsoum, et Hakima nous a ensuite parlé de la poésie dans ses chansons et de la façon unique qu'elle avait de chanter l'amour. Elle nous a aussi dit qu'elle chantait dans un arabe classique très beau et très romantique.
Il y a une scène qui m'a frappé dans le reportage sur Oum Kalthoum que j'ai vu à la télé en 1975, seul dans ma petite chambre. On venait d'annoncer la mort de la chanteuse et la circulation s'était complètement arrêtée dans les rues du Caire. Un chauffeur de taxi était debout près de son véhicule immobilisé. Il était appuyé sur la portière ouverte de sa voiture...et il pleurait.
J'ai gardé pendant longtemps en mémoire cette scène qui m'a beaucoup émue. En voyant pleurer ce chauffeur de taxi, j'ai compris l'importance qu'avait la beauté et la poésie dans la vie de cet homme dont la vie n'avait sans doute rien de très poétique, et je me suis dit que ce besoin devait être universel. Je me suis aussi dit qu'on n'avait pas besoin d'avoir étudié la littérature à l'université pour être touché par la beauté de la musique et des mots.
J'ai su que ce chauffeur de taxi qui vivait dans une culture très différente de la mienne, et qui parlait une langue que je ne comprenais pas, avait quelque chose en commun avec moi. Il avait besoin, lui aussi, de faire entrer un peu de beauté et de poésie dans sa vie pour la rendre un peu plus belle et un peu moins difficile à vivre.
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