Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Pardonner pour survivre ou pour mieux vivre

îJ’aime regarder sur les chaînes américaines des émissions comme 48 Hours, Dateline et 20/20 qui racontent des histoires de crimes réels avec plein de détails sur les circonstances et les lieux ainsi que sur les personnes directement ou indirectement liées à ces crimes. Il y a des entrevues avec les victimes si elles ont survécu, avec des proches des victimes, avec les policiers qui ont mené l’enquête, avec les avocats de la poursuite et de la défense, et très souvent avec les criminels eux-mêmes.

 

Ce qui m’intéresse le plus dans ce genre d’histoires, c’est de voir comment des individus, poussés par la cupidité, la jalousie, l’appât du gain, la vengeance ou pour des motifs complètement irrationnels, en arrivent à commettre des actes d’une extrême cruauté, sans aucune considération pour les souffrances de leurs victimes. Il y a les crimes passionnels, les empoisonnements pour toucher l’argent de la police d’assurance de son conjoint ou de sa conjointe, le partenaire d’affaires qu’on veut éliminer, le tueur en série qui tue sans autre raison que parce que c’est dans sa nature de le faire. Tout cela révèle des facettes de la nature humaine dans ce qu’elle a de pire.

 

Quelquefois, il y a une émission consacrée à une erreur judiciaire. Un innocent est condamné et passe plusieurs décennies en prison pour un crime qu’il n’a pas commis. C’est parfois la conséquence d’une tragique erreur de la part du système judiciaire ou d’une enquête bâclée par des enquêteurs qui n’ont pas bien fait leur travail, mais, trop souvent, il s’agit d’une décision délibérée d’un procureur, appelé aux États-Unis district attorney ou     prosecutor, de trouver coûte que coûte un coupable parce que c’est avantageux pour sa carrière de résoudre un cas et de gagner un procès. On fabrique des preuves, on force des témoins à se parjurer, on cache des éléments de l’enquête qui pourraient être favorables à l’accusé, et le suspect n’a aucune chance de s’en tirer. Il faut dire qu’aux États-Unis le système judiciaire est très politisé. Les procureurs sont élus, et ils ont intérêt à trouver et à faire condamner un coupable, à la peine de mort quand elle s’applique, s’ils veulent être réélus.

 

Ces victimes d’injustice perdent tout : leur réputation, leur travail, leur famille, leurs amis, leur liberté et très souvent leur vie. En plus, ils sont souvent torturés par les autres détenus quand ils sont faussement condamnés pour des crimes de nature sexuelle, surtout contre des enfants. Il y a pourtant quelques-unes de ces victimes qui retrouvent leur liberté après de nombreuses années passées en prison, et ce, grâce au travail acharné d’avocats et d’étudiants en droit qui se sont donné pour tâche de réparer les erreurs judiciaires commises dans le passé. C’est un travail long et fastidieux pour lequel ils ne sont pas payés. Il faut revenir sur les détails de procès qui ont eu lieu il y a vingt-cinq ou trente ans et prouver qu’il y a eu des irrégularités, ou convaincre la Cour d’appel de l’état où le crime a eu lieu de faire admettre comme preuve de l’innocence du condamné des résultats de tests d’ADN qui n’étaient pas disponibles au moment de l’enquête et du procès. La plupart des procureurs ne veulent pas que les criminels qu’ils ont envoyés derrière les barreaux ou à la mort soient innocentés parce que ça remettrait en question leur compétence et leur intégrité. Il y en a pourtant quelques-uns qui, lorsqu’on leur présente les faits, n’ont pas peur d’admettre qu’ils ont commis une erreur, mais ils sont très peu nombreux. 

 

Ce qui me frappe le plus dans ces histoires, c’est de voir comment la plupart de ces victimes en arrivent à pardonner et à retrouver une forme de sérénité après tout ce qui leur est arrivé. J’en ai quelques-unes en tête dont je revois les visages et dont j’entends encore les propos. Ils savourent les quelques années de liberté qu’il leur reste à vivre, retrouvent avec émotion des conjoints, des enfants ou des parents qu’ils n’avaient pas vu depuis des décennies, trouvent un petit emploi et un appartement, et repartent à zéro. Quand on leur demande comment ils ont réussi à pardonner l’impardonnable et trouver le courage de recommencer à vivre, ils répondent tous la même chose. Ils disent que c’était pour eux une question de survie, qu’il leur fallait trouver la force de pardonner parce qu’ils n’auraient pas pu continuer à vivre avec la haine et le ressentiment qui s’étaient accumulés dans leur cœur au cours de toutes ces années. Quelques-uns affirment avoir rencontré Dieu pendant leur séjour en prison; pour d’autres, ce qui les a sauvés, ce sont les êtres humains qui ont sacrifié une partie de leur carrière et de leur vie pour prouver leur innocence, et qui les ont réconciliés avec l’humanité.  

 

Nous avons tous, à un moment ou l’autre de nos vies, et à des degrés différents, été victimes d’injustices qui nous ont fait perdre la face, notre confiance en nous, notre dignité, notre réputation, de l’argent, des amis, des membres de notre famille, des voisins, un emploi, une promotion, le crédit que nous méritions pour quelque chose que nous avions accompli. Nous avons tous été lésés, ridiculisés, bafoués, intimidés, arnaqués, humiliés, trompés, pris pour acquis, laissés pour compte, mais nous avons pu malgré tout continuer à vivre sans jamais avoir vraiment pardonné, et sans avoir retrouvé pleinement la sérénité et la confiance que nous avons perdues à la suite de telles expériences. Si nous n’avons pas vraiment pardonné, c’est parce que, contrairement au gars qui vient de passer trente ans en prison pour un crime qu’il n’a pas commis, le pardon n’était pas pour nous une question de vie ou de mort. Nous avons pu continuer à vivre sans ça, mais ça ne veut pas dire que ça n’a pas laissé pas de séquelles. Le fiel qui nous empoisonne est comme l’eau des fleuves qui se mêle à celle de la mer. C’est imperceptible mais c’est là, et on ne se rend pas compte que c’est là.

 

Dans certains cas, on n’a pas vraiment pardonné parce qu’on avait des croyances religieuses, et qu’on se disait que le pardon allait de soi pour un croyant, que c’était naturel, que c’était quelque chose que Dieu faisait à notre place, sans qu’on s’en rende compte, et sans qu’on soit vraiment impliqué. Ça se passait à un autre niveau, et ça ne changeait pas grand-chose aux sentiments négatifs que nous entretenions encore envers les personnes qui nous avaient offensés. Et on se disait qu’au final, parce que nous avions mis notre confiance en Lui, Dieu jugerait et punirait ceux qui nous ont offensé et qu’on serait vengé. Ça nous réconfortait et ça nous consolait, mais ça nous empêchait de nous rendre compte que nous n’avions pas vraiment pardonné.

 

Un jour, chez les Alcooliques Anonymes, un vieux qui s’appelait Henri, qui avait à peu près l’âge que j’ai maintenant, et qui est par la suite devenu mon parrain m’a dit à peu près ceci : «  La spiritualité, c’est pas compliqué. Il faut choisir ce qui est bon pour notre esprit et rejeter ce qui est mauvais. » Il avait raison. Ce que m’a dit Henri résume assez bien ce que nous enseignent les religions, les philosophies, le yoga, les psychiatres, les psychologues et tous les livres de pensées positives. Il apparaît évident pour tout le monde que le pardon, l’amour et la réconciliation ont des effets plus positifs sur l’esprit humain que l’apitoiement, la haine et le ressentiment. Ce qui est compliqué, c’est de mettre ça en pratique.

 

Je sais que la probabilité que je devienne un jour victime d’une erreur judiciaire est minime, et que je ne serai vraisemblablement jamais confronté au défi de pardonner l’impardonnable pour survivre. Je sais également qu’il est très important pour moi de faire les bons choix pour rester en bonne santé spirituelle, pour mieux vivre, bien sûr, mais surtout parce que, comme me l’a déjà dit Henri, pour un alcoolique, la sérénité est la meilleure garantie de conserver sa sobriété.



24/08/2017
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