Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Dieu

 

En général, quand on demande à quelqu’un s’il croit en Dieu, ça sous-entend la croyance en un dieu tel que défini par une religion et une civilisation. Cette croyance est souvent liée à une révélation que Dieu aurait directement ou indirectement transmise aux humains. Le système de pensée, les dogmes, la morale, les rites et les traditions, tout ce qui découle de cette religion, comme disent les Anglais, comes with the territory.

 

Quand un beau jour quelqu’un lui a demandé s’il croyait en Dieu, Einstein a répondu : « Dites-moi ce que vous entendez par Dieu et je vous dirai si j’y crois. » En fait, Einstein se définissait comme un déiste. Le déisme et le théisme sont des conceptions de Dieu élaborées par les philosophes Diderot et Kant au XVIIIe siècle. Les déistes croient en un dieu qui serait à l’origine de l’univers mais qui n’interviendrait pas dans son développement. Un peu comme au football américain ou canadien où Dieu ferait le botté d’envoi au début du match et disparaîtrait pour ne plus jamais revenir. Les théistes, eux aussi, croient que Dieu est à l’origine de l’univers mais ils croient ou espèrent qu’il y a une finalité derrière tout cela. J’ai lu quelque part qu’Einstein était déiste parce qu’il croyait que la science pourrait un jour expliquer Dieu.

 

Parlant de la science qui pourrait expliquer Dieu, il y avait un soir à l’émission Tout le monde en parle, un astrophysicien québécois qui travaille en Suisse à recréer artificiellement les conditions de la naissance du l’univers pour essayer d’en découvrir l’origine. On lui a posé la même question qu’à Einstein. Sa réponse m’a déçu : « Je n’ai pas besoin de Dieu pour expliquer l’existence de l’univers. » Pour moi, c’est une réponse subjective. L’existence d’une chose ne dépend pas du besoin qu’on a ou qu’on n’a pas de cette chose. J’aurais aimé qu’il dise quelque chose du genre : « À la lumière de ce que nous avons pu observer et des découvertes que nous avons faites jusqu’à maintenant, nous pourrons bientôt affirmer que Dieu existe ou qu’il n’existe pas. »    

 

 

Pascal proposait à ses contemporains de parier sur l’existence de Dieu. Ce pieux marchandage  fonctionnait comme une assurance vie contre le feu éternel. On choisit librement de croire en Dieu, et ceci est très important, d’obéir à ses représentants. Lors de son trépas, dans l’éventualité que Dieu et l’enfer existent, on échappe allègrement à l’éternel châtiment. En bout de ligne, si on a cru en quelqu’un ou quelque chose qui n’existait pas, on n’a rien perdu. De nos jours, quand on n’est pas certain, on se contente de dire qu’on est agnostique.

 

Rousseau disait que l’homme naît bon mais que c’est la société qui le corrompt. Donc pas de péché originel et nul besoin de ces dogmes et de cette hiérarchie pour rétablir les liens rompus d’une humanité déchue avec son Dieu déçu. Voltaire, lui, incitait ses lecteurs à écraser l’infâme. Je crois que ce qu’il reprochait à l’Église, ce n’était pas tant ses dogmes que son dogmatisme, sa morale que son hypocrisie, ses certitudes que l’absence de liberté de croire à autre chose.

 

Et moi, où est-ce que je me situe par rapport à tout cela ? Tout ce que je peux dire c’est qu’à partir des expériences que j’ai vécues, de ce que j’ai observé du monde, des livres que j’ai lus, des personnes que j’ai côtoyées et avec qui j’ai discuté, je serais tenté, d’un point de vue intellectuel, d’affirmer que je suis déiste. Mais ce Dieu des philosophes reste quand même pour moi une notion quelque peu abstraite. C’est dans la religion révélée de ma culture que s’est secrètement écrite mon histoire. Ce dieu est plus près de ma vie, de mes rêves, de mes espoirs, mais aussi de mes angoisses, de mes déceptions et de mes souffrances. J’ai été tour à tour un croyant sincère et convaincu, un agnostique perplexe et ambivalent, un athée amer et déçu. J’ai rencontré autant de cons chez les croyants que chez les incroyants. Sur mon chemin, qui n’a pas toujours été facile, des croyants et des personnes qui croyaient à autre chose, et d’autres qui disaient ne croire en rien m’ont aidé et m’ont aimé, et les ai aimées. Comme le dit si bien Gilles Vigneault dans une de ses merveilleuses chansons : « Le temps qu’on a pris pour se dire ‘Je t’aime’, c’est le seul temps qui reste au bout de nos jours. » C’est, je crois, dans les arts et la poésie qu’on trouve les plus grandes vérités.

 

Face à toutes ces questions par rapport à Dieu, je crois qu'il faut accepter qu'on ne peut pas tout comprendre et tout expliquer. Rendu à mon âge, j'ai beaucoup moins de certitudes concernant les tentatives humaines d'expliquer ce qu'est Dieu et pourquoi nous sommes ici dans cet univers immense, mais pour moi il ne fait aucun doute qu'avec ou sans Dieu, l'amour et la compassion sont les choses les plus essentielle dans nos vies. Pour le reste, comme le dit si bien Jean Gabin dans son monologue Maintenant je sais : « JE SAIS, JE SAIS QU’ON NE SAIT JAMAIS ! C’EST TOUT C’QUE SAIS ! MAIS ÇA, J’LE SAIS…! »

 

Pour revenir à Einstein, si je me posais à moi-même la question qu'il a suggéré qu'on lui pose par rapport à Dieu, j'avoue que je ne saurais pas quoi répondre. Dieu est-il, comme le concevaient les philosophes des Lumières, le grand ordinateur qui est à l'origine de l'univers ? Dieu a-t-il des émotions et des sentiments comme l'amour et la compassion, et se soucie-t-il de ce qui arrive aux humains comme le prétendent plusieurs traditions religieuses ? Moi, personellement, je ne sais pas. Dieu seul le sait...

 

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P.-S. : Quelques années après avoir écrit ceci, je suis tombé sur cet article de Jacques Musset publié dans un blog intitulé Libre pensée chrétienne pour un discours chrétien crédible qui exprime assez bien la conception que j'ai maintenant de Dieu.

 

 

Où est-il ton Dieu ?

 

La présence autour de moi de proches et d’amis qui pensent et vivent paisiblement leur existence sans référence à Dieu continue de m’interroger depuis de longues années : pourquoi continué-je personnellement à croire en Dieu ? Avec certains d’entre eux j’ai partagé autrefois des convictions chrétiennes, puis ils s’en sont lentement éloignés et ils ont tiré définitivement l’échelle. Qu’est-ce qui nous différencie ? Nous avons le souci identique de ne pas mener une vie de somnambule, d’automate et de girouette. Nous partageons les mêmes valeurs d’humanisme que nous nous efforçons tant bien que mal de pratiquer au quotidien : nous essayons d’accueillir autrui dans sa singularité, de l’écouter, de l’accompagner dans les passes difficiles qu’il peut traverser. Nous acceptons de prendre des responsabilités pour le bien commun ; ainsi, quand il y a trois ans, il a fallu dans ma commune envisager de recevoir une famille de migrants, c’est ensemble que nous nous sommes mobilisés pour créer de bonnes conditions d’accueil, et cette expérience de solidarité a resserré les liens entre nous... Bref, je suis frappé de constater que notre façon d’exister humainement n’est pas bien différente. Nous ne sommes ni plus humains ni moins humains du fait que nous croyons ou pas en Dieu.

 

Aucun de ces proches et amis ne m’a demandé pourquoi je continuais de croire en Dieu. S’il leur en venait l’idée, je leur dirais à peu près ceci.

 

Mes amis, peut-être cela va-t-il vous étonner mais, comme pour vous, le sens et la valeur de ma vie se jouent ici et maintenant dans la manière dont je cherche à m’humaniser et à contribuer à humaniser notre monde et notre société. Pour tout être humain d’ailleurs ne doit-il pas en être ainsi dès lors qu’il est honnête avec lui-même ? Si la démarche n’est pas acquise d’avance – tâtonnements, fléchissements, erreurs, épreuves la jalonnent – ne se révèle-t-elle pas une voie féconde quand on la poursuit dans la durée ?

 

Mais alors, me rétorquerez-vous, à quoi te sert de croire en Dieu ? Qu’est-ce que ça t’apporte ?

 

Rien en vérité qui me qualifie davantage en humanité. Je ne suis pas plus que vous dispensé de chercher ma route, protégé des inévitables épreuves de l’existence, éclairé d’emblée sur les choix à faire. Je n’ai pas de solutions toutes faites, je peux errer, hésiter, douter.

 

Je vous entends me presser : dis-nous précisément qu’est-ce qui te fait croire en Dieu ? Avant tout, je dois vous préciser à quels Dieux je ne crois pas. Copernic, Galilée, Newton, Darwin, Freud m’ont ouvert les yeux. Je ne crois plus en un Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui ferait la pluie et le beau temps, en un Dieu créateur de l’homme à son image et à sa ressemblance, en un Dieu consolateur de nos misères qui pourrait nous alléger dès cette terre si nous le lui demandons, en un Dieu paratonnerre protecteur en échange du culte qu’on lui rend, en un Dieu qui aurait confié aux religions le soin d’interpréter ses volontés et de les faire respecter.

 

Les exégètes de même qui, depuis quatre siècles, décodent les vieux textes bibliques et évangéliques, m’ont eux aussi dessillé les yeux et vacciné à tout jamais contre les lectures fondamentalistes. Je ne crois pas au Dieu dont la voix retentit à travers le ciel ouvert, au Dieu qui conduit en sous-main l’histoire, je ne crois pas au Dieu qui sacrifie son Fils bien-aimé pour que les hommes pécheurs soient réconciliés avec lui, je ne crois pas au Dieu qui se joue des lois qui régissent le monde et les humains... Ces représentations de Dieu me paraissent indignes de l’homme, car elles le déresponsabilisent et l’abêtissent.

 

La représentation de Dieu qui est crédible à mes yeux, je la tire d’un questionnement qui m’habite depuis longtemps dans l’invention quotidienne de ma vie d’homme. Comme vous, j’essaie de la conduire en tâchant de vivre vrai, car j’expérimente que là est la vraie vie. Mais en même temps je n’échappe pas aux sirènes qui m’invitent à emprunter la pente spontanée de la facilité, de l’égocentrisme, du renoncement. Je vis un tiraillement. Ce qui m’étonne tout de même quand j’y réfléchis – et c’est là le lieu de mon questionnement récurrent – c’est qu’en dépit des sinuosités de mon existence, je constate que j’ai progressé en humanité au long des années. Mes choix fondamentaux se sont révélés féconds, les épreuves que j’ai traversées m’ont appris non sans douleur parfois à consentir et à m’approprier la réalité, avec en prime une maturation inespérée ; la paix qui m’habite en profondeur n’est pas altérée par les houles de surface. J’en arrive à ma question permanente : comment se fait-il que malgré tous les obstacles intérieurs et extérieurs, j’ai pu malgré tout advenir à une qualité d’humanité que j’ignorais il y a soixante ans ? Je reconnais m’être efforcé vaille que vaille d’obéir à une exigence intime d’ouverture, de dépassement, de probité, de lucidité, de cohérence, de ressourcement. Mais d’où vient cette inspiration parfois si pressante ?

 

Je fais mienne la réponse de Marcel Légaut, mon maître spirituel. Il appelait cette inspiration « motion intérieure » et y lisait les traces en lui d’une « action qui n’est pas que de lui mais qui ne saurait être menée sans lui ». Il en concluait qu’on pouvait « appeler cette action qui opère en soi l’action de Dieu sans nullement se donner de Dieu – et même en s’y refusant – une représentation bien définie comme celles dont par le passé les hommes ont usé si spontanément et si puérilement. » Bien entendu, cette prise de position n’est en rien une preuve mais l’interprétation croyante d’une expérience de « transcendance » commune à tous les humains, cette capacité qu’a l’homme de vivre à un niveau éminent de profondeur, d’authenticité, d’ouverture à autrui, de don de soi-même. Cette capacité, j’imagine que vous, mes amis athées, l’expliquez par les propres ressources dont dispose l’homme, ressources cachées et si souvent méconnues auxquelles il a peine à croire tant elles sont peu exploitées ? Mais le mystère demeure. Pascal en était vivement conscient : « L’homme passe infiniment l’homme ». Comment rendre compte de cette étonnante expérience ?

 

Suis-je éloigné de l’expérience qu’avait Jésus de son Dieu ? Je ne le pense pas ! Certes Jésus s’exprimait dans la culture de son temps. Il se représentait Dieu comme un Père qui est aux cieux, qui donne généreusement du pain à ceux qui l’en prient, et qui est sur le point de faire advenir définitivement son règne sur le monde en catapultant d’un coup les forces de mort. Cette représentation ne peut être la mienne aujourd’hui. Mais si nos représentations divergent, nos expériences de Dieu convergent-elles ou non ? Jésus vivait en intimité avec son Dieu en présence duquel il aimait se recueillir solitairement. N’est-ce pas en ces moments qu’il se ressourçait en force intérieure, en approfondissement de ses engagements, en fidélité à sa propre mission ? J’expérimente pareillement les bienfaits de ces temps de recueillement tels qu’en parle Marcel Légaut : « La parole qui s’efforce de dire exactement ce que j’atteins de Dieu malgré une ignorance invincible de nature, ce que j’aspire à être par le plus authentique qui s’efforce en moi-même, ce que j’atteins de moi quand je suis à moi-même dans la lucidité est la seule prière dans le langage de l’homme qui soit langage pour Dieu. L’adressant à moi-même dans le recueillement, je me tiens devant Dieu. L’adressant à Dieu dans l’adoration, j’entre en ma présence. Autant qu’il m’est donné, quand je me parle ainsi, Dieu m’écoute ; quand je m’écoute ainsi, Dieu me parle.»

 

Par ailleurs, le critère de fidélité de Jésus à son Dieu, c’était son investissement dans sa pratique de libération, en paroles et en actes, au bénéfice de ses compatriotes marginalisés, exclus, victimes de toutes sortes de déshumanisation. Jésus se situait ainsi vigoureusement dans la ligne des prophètes, ses grands devanciers qui répétaient à longueur de siècles : le vrai culte rendu à Dieu est « que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable » (Amos 5, 24-25). Jésus a poussé à l’extrême cette logique en mettant sur le même pied les deux grands commandements : aimer Dieu et aimer son prochain (Mc 12, 28-34), ce qui a fait dire à l’auteur de la première lettre de St Jean : « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas » (4, 20). Tel est pour moi, disciple de Jésus, le cœur du christianisme. Être et devenir humain et participer à l’humanisation du monde actuel. Rien en cela de religieux à la vérité concernant des rites à accomplir ou des lois à appliquer, « Rien d’autre que le respect du droit, l’amour de la fidélité, la vigilance dans ta marche avec Dieu », disait déjà au VIIIème siècle avant notre ère le prophète Michée. Cette exigence retentit toujours, aujourd’hui comme hier, au fond des consciences humaines. C’est à travers elle que « Dieu » « parlait » à Jésus et qu’il me « parle ». Sans que je puisse me Le représenter, il est appel constant à maintenir en mon être l’ouverture qui empêche ma vie de se cadenasser, de se rapetisser, de s’enfermer, de s’aseptiser, de s’endormir, de se clôturer. Cet appel, je tâche de l’entendre au travers des mille sollicitations des événements quotidiens. Parfois je suis sourd, mais l’exigence revient et je m’efforce tant bien que mal de la traduire en actes. C’est là le grand exercice vital de mon existence. C’est la voie de la vie. Je l’expérimente comme tel.

 

Au fond, mes amis, ce qui nous différencie, ce n’est pas l’ambition que nous avons les uns et les autres de vivre une vie qui soit vraiment humaine ni l’ardeur à la traduire en actes au quotidien. C’est la manière dont nous nommons ce qui nous inspire communément au plus intime. Ce n’est pas secondaire à mes yeux, mais c’est second par rapport à l’expérience d’humanisation vers laquelle nous tendons tous et sur la voie de laquelle nous nous accompagnons. Dans le respect de la manière dont chacun donne sens à son cheminement, poursuivons ensemble la seule aventure qui vaille : celle de grandir en humanité et de participer à l’humanisation de notre monde.

 

Jacques Musset



11/04/2016
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