Nos valeurs et notre identité collective
Quand j’étais à la petite école, on nous disait que nous, les Canadiens français, étions les héritiers et les défenseurs de la religion et de la langue que nous avaient léguées nos ancêtres. On nous disait aussi que les explorateurs et les missionnaires étaient venus en Nouvelle-France pour apporter la civilisation et le salut aux sauvages et que les Français avaient tourné le dos à la religion quand ils avaient coupé la tête de leur roi. Et on concluait en nous disant qu’étant donné que nous étions isolés sur notre continent, nous étions les seuls garants de notre langue et de notre foi qu’il fallait préserver à tout prix.
Pendant ce temps, dans les écoles anglaises, on disait aux enfants qu’ils faisaient partie d’un vaste empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais, qu’ils avaient chassés les Français d'Amérique parce qu’ils étaient plus déterminés et plus courageux qu’eux, et qu’ils avaient aussi traversé l’Atlantique pour apporter leur civilisation et leur religion aux sauvages qui ne connaissaient pas Dieu...et pour agrandir et enrichir leur empire.
Moins d'une décennie plus tard, quand est arrivée la Révolution tranquille et que nous avons commencé à nous définir comme Québécois plutôt que Canadiens-français, le discours a changé. Ç’a commencé avec des intellectuels, quelques politiciens et quelques artistes, et ça s’est répandu dans l’ensemble de la société. Nous étions devenus des progressistes qui avaient à cœur le bien commun de la société dans un univers dont on nous disait qu'il était obsédé par le matérialisme et l’individualisme. Nous avons suivi l’exemple de la France d’après la Révolution, avec qui nous avions petit à petit renoué contact, et avons fait de la laïcité une des valeurs essentielles de notre société. Nous avons aussi regardé du côté des pays scandinaves et de leurs sociales démocraties pour trouver des modèles de solidarité et de justice sociale.
Aujourd’hui, avec l’arrivée de nombreux immigrants qui ne partagent pas notre identité collective parce que très souvent nos valeurs entrent en conflit avec les leurs, nous, les Québécois de souche, ne savons plus très bien comment réagir. Quelques-uns d'entre nous se réfugient dans un lointain passé en tentant de retourner aux valeurs et aux structures d’avant la Révolution tranquille, mais la plupart croient que nous devrions coûte que coûte défendre notre société laïque et nos valeurs.
De même, après que leur empire a cessé d’exister et que plusieurs immigrants se sont mis à arriver, les Canadiens anglais ne savaient sur quel pied danser. Ils ne pouvaient plus intégrer ces immigrants en leur disant qu’ils allaient devenir de fiers et heureux sujets d’un empire qui n’existait plus. Ils se sont alors tournés vers le multiculturalisme mis de l’avant par Pierre Trudeau pour se forger une identité collective et avoir des valeurs communes à partager. Dans un tel contexte, il était logique de se présenter comme les fervents défenseurs des libertés religieuses. On a même vu un agent de la GRC de religion sikhe porter un turban au lieu du traditionnel chapeau de la police montée.
Au Canada, il y a un conflit entre deux modèles de société. Il y a, d’une part, les Québécois de souche, dont la vie et le destin ont été dominés et contrôlés pendant deux cent ans par un clergé autoritaire et réactionnaire, qui ont décidé de faire de leur nation une société laïque pour éviter que l’histoire ne se répète. D’autre part, il y a le reste du Canada qui permet aux individus dans l’exercice de fonctions d’autorité d’afficher ouvertement leurs convictions religieuses et qui regarde du haut de sa supériorité morale le Québec qui est, à ses yeux, moins progressiste et moins évolué.
Je crois qu’il y a beaucoup de confusion et de mauvaise foi dans tout ça. Au Québec, on interdit aux fonctionnaires dans l’exercice de fonctions d’autorité d’afficher ouvertement leurs convictions religieuses en même temps qu’on refuse d’enlever le crucifix à l’Assemblée nationale en oubliant, ou en faisant semblant d’oublier, que l’Assemblée nationale est l’endroit où sont votées les lois que les fonctionnaires en position d’autorité sont chargés d’appliquer et de faire respecter.
Au Canada anglais, de façon systématique et répétée, les médias et les politiciens font croire à la population qu’au Québec, il est interdit aux femmes musulmanes de porter le voile ou aux juifs le kippa dans les rues de Montréal. Je trouve ça malhonnête et opportuniste.
Pour ma part, je crois que dans le contexte actuel, avec toutes les tensions qui existent dans le monde à cause de conflits religieux, il vaut mieux éviter d’afficher ses convictions religieuses quand on est en position d’autorité. Si les gens sont honnêtes et sincères dans leur recherche de la vérité et de la justice, leurs convictions - qu’ils n’ont pas besoin d’afficher - guideront leurs paroles et leur jugement.
Qu’on le veuille ou non, les valeurs identitaires que nous partageons avec la plupart des membres de la société dans laquelle nous vivons font partie de notre identité. Ces valeurs peuvent changer mais elles viennent toujours se superposer à d’autres sans jamais complètement les effacer.
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