Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Cruelle ironie

Dans sa série Les Romains[1], le romancier et historien français Max Gallo raconte l’anecdote suivante. Au cours d’un festin chez un riche citoyen romain auquel l’empereur (je ne me souviens plus duquel) était invité, un esclave brise un vase de grande valeur. Son maître décide de le punir sur le champ en le faisant bouffer vivant par des murènes qu’il gardait dans une sorte d’aquarium. L’esclave se jette au pied de l’empereur et lui demande grâce. L’empereur la lui accorde. L’histoire ne dit pas ce qui est arrivé à l’esclave après le départ de l’empereur. Après nous avoir relaté l'incident, Gallo nous apprend que le riche citoyen qui voulait infliger ce cruel châtiment à son esclave avait été lui-même esclave avant d’être affranchi.

 

Dans un reportage de la télévision française, on nous parle d’immigrantes venues d’Afrique qui font venir de leurs pays d’origine des jeunes femmes qu’elles traitent littéralement comme des esclaves. Ces femmes, souvent des adolescentes, ne sont pas payées pour le travail qu’elles font, n’ont pas le droit de sortir, et sont soumises à toutes de violences physiques et psychologiques si elles désobéissent ou si elles tentent de partir. Parce qu’elle avait tenté de lui échapper, une de ces jeunes filles a eu la paume des mains brûlées sur la plaque chauffante d’une cuisinière électrique par la femme qui l’avait fait venir en France.

 

Il y a dans ces deux histoires une bien cruelle ironie. Dans le premier cas, un esclave qui a eu la chance de devenir libre et riche, au lieu d’être solidaire et d’éprouver de la sympathie pour un homme qui se trouve dans la même condition que celle dans laquelle il a déjà été, le traite avec mépris et avec une cruauté encore plus grande que celle qu’il a subie quand il était lui-même esclave. Et que dire de ces femmes qui ont quitté des pays dont les habitants ont pendant des siècles été enlevés, enchaînés, fouettés, marqués un fer rouge et entassés dans la cale de navires pour devenir des esclaves de l’autre côté de l’Atlantique, et qui traitent aujourd'hui leurs compatriotes de la même façon que leurs ancêtres ont été traités par les colonisateurs qui en ont fait des esclaves ?

 

Quand on regarde tout ce qui s’est passé dans l’histoire et ce qui se passe encore aujourd’hui, on trouve beaucoup d’autres exemples de cruelle ironie. On peut penser aux bolchéviques qui ont fait la révolution pour libérer le peuple russe d’un système qui maintenait les paysans et les travailleurs dans la misère et la servitude, et qui ont plongé ceux et celles qu’ils disaient vouloir libérer pays dans société absurde, bâtie sur la terreur, la répression, l'absence de liberté et le mensonge. On peut aussi penser à Pol Pot au Cambodge et à Ceausescu en Roumanie. Et il y a bien sûr Kim Jong-Un, en Corée du Nord, qui détient le pouvoir absolu dans le pays le plus triste et un des plus pauvres du monde ; Kim Jong-Un qui a amassé une fortune évaluée à environ cinq milliards de dollars américains. Il y a une cruelle ironie à penser que ces dictateurs s’étaient présentés au départ comme des libérateurs.

 

Quelquefois, la petite et la grande histoire se ressemblent beaucoup.



[1] Il est important de préciser que contrairement à ses romans historiques dans lesquels il met en scène des personnages fictifs qui se mêlent à des personnages réels, Gallo a écrit cette série en tant qu'historien et non de romancier. Il ne relate que des faits réels et ne met en scène que des personnages qui ont déjà existé.



11/09/2021
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