René Lévesque et le multimillionnaire
Il y a de cela plusieurs années, de retour à la salle de rédaction après avoir réalisé une entrevue avec un multimillionnaire, René Lévesque, qui était alors journaliste, avait l’air un peu pensif et déprimé. Il s’est assis à son bureau, s’est allumé une cigarette, et sans préambule a déclaré à ses collègues : « J’ai compris aujourd’hui comment on devient riche. Il suffit de ne penser qu’à ça. »
Je ne sais pas si elle est authentique mais je n’ai jamais oublié cette anecdote. Après près avoir entendu cette histoire, je me suis dit que si on ne pensait qu’à une chose, il n’y avait forcément plus de place pour les autres, et que le prix à payer pour devenir riche était énorme. J’ai pu constater par la suite, en lisant les journaux ou en regardant la télévision ou tout simplement autour de moi, jusqu’à quel point cette théorie était vraie. Il y a tellement d’histoires d’hommes et de femmes qui ont trahi leurs amis et leurs associés, ou qui ont tué froidement leurs conjoints pour devenir riches. Et ce n’est là que les cas extrêmes. Il y a toutes les petites trahisons et les coups bas qui ne font pas la manchette des journaux, mais qui sont les conséquences directes de cette obsession de la richesse.
Je n’ai rien contre le fait de devenir riche. Ce qui est malsain, et ce à quoi René Lévesque faisait probablement allusion, c’est quand la poursuite de la richesse devient une obsession et une fin en soi. Guy Laliberté est devenu millionnaire en réalisant un rêve. Il n’a pas créé le Cirque du Soleil pour devenir millionnaire. Il est devenu millionnaire parce qu’il avait créé le Cirque du Soleil. C’est la même chose pour Joseph-Armand Bombardier. Il a commencé par inventer un engin pour se déplacer rapidement sur la neige. Son entreprise s’est agrandie et diversifiée, et il est devenu très riche parce qu’il l’avait bien gérée. Louis Garneau est un autre entrepreneur québécois qui a réussi parce qu’il avait un rêve et une vision.
Seules les grandes âmes savent gérer les grands destins. Je ne sais pas pourquoi je viens d’écrire cette phrase, mais elle m’est venue de façon un peu inconsciente en écrivant ce texte. Je crois que ça veut dire que pour assumer la richesse et le pouvoir sans se perdre soi-même, il faut avoir des fondements solides basés sur des valeurs suffisamment bien intégrées pour résister à tout ce qui pourrait compromettre son intégrité. J’ai rencontré des gens qui n’étaient pas encore devenus riches et qui n’allaient probablement jamais le devenir, mais qui avaient déjà vendu leur âme dans l’espoir de le devenir. J’ai aussi côtoyé des gens bien nantis qui n’avaient renoncé ne fusse qu’à une parcelle de leur humanité en parcourant le chemin qui les avait conduits à la prospérité.
Je crois que le commentaire de René Lévesque était lié au caractère de la personne qu’il venait de rencontrer. Il a probablement été agacé par la démesure et ce qu’il y avait d’obsessif dans les propos et l’attitude de cette personne. Sa réaction aurait été différente s’il avait fait une entrevue avec Guy Laliberté, Joseph-Armand Bombardier ou Louis Garneau. J’aime le croire.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 6 autres membres