Maria et le papillon
Le texte qui suit est la version française d’un article que j’ai publié dans mon blogue en anglais il y a à peu près deux ans.
Le 1er juillet 2014, le jour de la Fête du Canada, notre chalet situé à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Gatineau, a été détruit par une mini-tornade. Deux immenses branches sont tombées sur le toit en écrasant les fenêtres et les murs. Plusieurs autres chalets ont été endommagés mais quelques-uns ont été épargnés. Nous avons retrouvé la balançoire que nous avions achetée quelques semaine plus tôt en mille morceaux de l’autre côté de la route. Même si les dommages étaient considérables, personne n’a été blessé.
Quelques jours plus tard, nous attendions l’expert en sinistre de la compagnie d’assurance. Nous bavardions avec nos voisins qui étaient en train de couper les arbres endommagés sur leur propriété. On entendait partout le bruit strident des scies à chaîne. Il y avait une odeur de bois fraîchement coupé qui flottait dans l’air. Les chiens surexcités aboyaient furieusement. Nous devions faire attention où nous posions les pieds à cause des fils électriques qui jonchaient le sol.
Tout à coup, au milieu de cette dévastation, Maria a vu un papillon se poser sur le tronc d’un arbre brisé, et ce papillon est devenu pour elle la chose la plus importante au monde. Tout le reste avait cessé d’exister. Elle souriait et ses yeux brillaient d’enthousiasme alors qu’elle admirait les couleurs de la fragile et silencieuse créature qui contrastait tellement avec le bruit et le décor qui nous entouraient. J’ai eu l’impression en les regardant que Maria et le papillon étaient un peu comme dans une autre réalité, et que cette réalité me dépassait.
On ne peut pas vivre avec Maria sans être conscient des merveilles de la nature qui nous entourent : « Look at the sky ! Look at the moon ! Look at the heron ! Look at the hummingbird ! Look at the clouds, the river, the flowers, the trees…! » Elle a conservé et elle partage spontanément cette faculté d’émerveillement qu’ont les enfants avant de devenir adultes. Maria vit intensément dans le présent. Elle ne laisse ni le passé ni le futur venir gâcher ce qu’elle est en train de vivre ici et maintenant. Même si elle n’a jamais lu les écrits de son compatriote, le moine vietnamien Thich Nhat Hanh, et qu’elle n’est pas bouddhiste, elle met en pratique ses enseignements. Voici un exemple de ce qu’il a écrit : « People sacrifice the present for the future. But life is available only in the present. That is why we should walk in such a way that every step can bring us to the here and now. »
En 2002, alors qu’elle était en chimiothérapie pour un cancer, Maria a dû passer presque deux semaines à l’hôpital. Étant donné que son système immunitaire était affaibli par les traitements, elle était très vulnérable aux infections. Un jour, en revenant de la piscine publique, sa température s’est mise à monter très rapidement. Elle a téléphoné à son médecin qui lui a dit de se rendre immédiatement à l’hôpital. Quelques jours plus tard, je suis arrivé à l’hôpital un peu avant le début des heures de visite. Maria ne m’a pas vu arriver. Elle marchait lentement dans le corridor menant à sa chambre, derrière la potence à intraveineuse sur laquelle était suspendu un sac. Elle avait déjà perdu ses cheveux et ses cils mais elle souriait. Et moi, tout ce que je voyais c’était son sourire qui illuminait la scène, son sourire qui illuminait le monde. Je me souviens de m’être dit « Comment peut-elle sourire dans une telle situation ? » J’ai appris plus tard que plus de patients atteints du cancer mouraient d’une infection causée par la chimiothérapie que du cancer comme tel. Elle le savait mais elle ne m’a rien dit parce qu’elle savait que ça allait me rendre trop nerveux. Elle le savait mais elle n’avait pas peur.
Je ne sais pas si c’est dans sa nature, si c’est grâce à sa foi ou à cause de ce qu’elle avait vécu auparavant dans sa vie, quand elle a affronté le danger de la mer et des pirates pour quitter son pays et qu’elle a passé quelques mois dans un camp de réfugiés en Indonésie, mais elle n’avait pas peur. Je sais que sa mère y est pour beaucoup. Sa mère a toujours été un modèle pour Maria. Elle me parle souvent d’elle. Au sujet de la peur, Thich Nhat Hanh a écrit ceci : « Fearlessness is the only possible; it is the ultimate joy. When you touch nonfear, you are free. » À cet égard, je peux dire que j'ai encore beaucoup de chemin à faire. Je suis plutôt pessimiste et inquiet, et je me casse beaucoup la tête avec le passé et le futur. Ça n’est pas parce que je n’ai pas essayé de changer, mais je crois que c’est dans ma nature profonde d’être comme ça. Maria me répète toujours que nous sommes responsables de notre bonheur. J’essaie de surmonter mon inquietude mais j’ai toujours peur de mourir seul si Maria part avant moi.
En été, quand nous sommes au chalet, Maria prend son vélo pour aller acheter des oeufs chez le fermier. Pour s’y rendre, elle doit prendre un sentier qui passe entre une forêt et un champ de maïs. En juillet dernier, en allant à la ferme, elle a été entourée par un essaim de papillons jaunes. Ils l’ont suivie pendant quelque temps et ils sont disparus. Quand elle est revenue avec les oeufs, elle était encore tout excitée. « It was so beautiful » qu’elle m’a dit en souriant. Plus tard, j'ai lu une autre chose écrite par Thich Nhat Hanh : « Because of your smile, you make life more beautiful. » Et je me suis dit que c'était tellement vrai.
Leonard Cohen a écrit une magnifique chanson intitulée You Got Me Singing qui décrit très bien de ce que Maria m'apporte grâce à son sourire et sa joie de vivre. Quand nous faisons du kayak, Maria chante toujours. Elle chante en anglais, en français et en vietnamien, et elle me donne aussi le goût de chanter…moi qui n’ai jamais été tellement doué pour chanter ou pour être heureux.
https://www.youtube.com/watch?v=ZSuvba-QGTg
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