Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Les forces de la vie

Ça faisait depuis le début de la pandémie que nous n’étions pas allés danser à la Villa Lucia. Nous étions un groupe assis à la même longue table. Même si je savais que tout le monde était vacciné, j’étais quand même un peu craintif. Les gars étaient tous des Canadiens français ou anglais mariés avec des femmes venues des Philippines, sauf moi dont la femme est née au Vietnam.

 

Quand on a eu presque fini de manger, le chanteur/musicien est arrivé. C’est un Péruvien qui chante en espagnol, en anglais et en français. Il a commencé mollo avec quelques slows et quelques rumbas. Les couples un à un se sont levés pour danser. Après ça, il a enchaîné avec une cumbia, une bachata et un cha-cha-cha. Il n’a pas joué de salsa, probablement parce que les habitués sont surtout des personnes âgées qui ne connaissent pas trop bien la salsa. Au début, nous étions un peu rouillés mais c’est vite revenu : les pas, les tours à gauche et les tours à droite, le mouvement des hanches et le rythme.

 

Après la pause, le gars est revenu avec du triple swing, du merengue et du rock’n roll. Pour le triple swing et le merengue, ç’a bien été. C’est comme si nous n’avions jamais cessé de danser. Pour le rock’n roll, nous avons eu un peu de difficulté à suivre la musique et à enchaîner les tours. Après ça, il y a eu une valse. J’ai oublié la chanson mais elle était très belle. Nous avons dansé comme si nous étions portés par la musique.

 

Un peu plus tard, au cours de la soirée, Maria et moi étions assis quand le gars s’est mis à chanter cette vieille chanson country du début des années 1980 :

 

https://www.youtube.com/watch?v=Pu82VMf8enI

 

En écoutant la chanson, mes yeux ont croisé ceux de Serge qui était assis en face de moi de l’autre côté de la table ; nous nous sommes souris, et c’est comme si nos yeux se disaient : Le beau temps est revenu ! Le pire est passé !

 

Des paroles de la chanson, je n’ai retenu que quelques mots au début : I got to keep rolling ! J’ai été entrainé par le rythme et l’énergie. Cette chanson, c’était comme la débâcle des rivières libérées de leurs glaces au printemps. C’étaient les forces de la vie qui reprenaient leurs droits. J’ai pensé à l’allégresse dans les rues de Paris et de New-York à la Libération.

 

Quelques semaines plus tôt, avant que mon médicament ne commence à faire effet, c’est comme si j’avais eu les jambes en feu pendant la nuit. Je ne pouvais dormir que quelques heures à la fois, et j’étais réveillé par une douleur intense entre la peau et les os. Je me demandais si ça valait la peine de continuer à vivre comme ça.

 

Quelque mois plus tôt, le restaurant où nous étions était fermé depuis plus de deux ans. Les employés étaient au chômage. Je me demande ce que le chanteur a fait pendant tout ce temps. Il a dû en profiter pour apprendre de nouvelles chansons.

 

La pandémie n’est pas officiellement finie, et il y aura peut-être d’autres vagues. Et après ça, il y aura autre chose : une autre pandémie ou un cataclysme causé par les changements climatiques. Et même si mon médicament m’a apporté un soulagement, je finirai bien par mourir de quelque chose.

 

Mais en attendant, je sens la vie qui bouillonne en moi, et je veux en profiter au maximum. Je veux retourner danser avec Maria, faire du vélo et du kayak, voir plus souvent mes sœurs, fumer un cigare ou même aller déjeuner avec André, revoir mon amie Suzanne, passer du temps avec mes chats, lire des livres, écouter le chant des oiseaux, regarder pousser les fleurs et m'émerveiller devant les couchers de soleil.

 

I got to keep rolling !

 



17/05/2022
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