Le visage à deux faces du capitalisme
Il y a le capitalisme de mon enfance, dans les années 1950 et 1960, de la petite ville où je suis né. C’est une ville qui a été créé par la compagnie qui y avait construit une usine de fabrication de papier journal au début du siècle dernier. Il y avait dans le Québec de cette époque toute un chapelet de mines et d’usines de toutes sortes qui s’étendait de Murdochville, en Gaspésie, jusqu’au Témiscamingue, en passant par la Côte Nord, le Saguenay-Lac Saint Jean, la Mauricie, l’Estrie et l’Outaouais. Ces compagnies ont donné des emplois à des centaines de milliers de travailleurs pendant plusieurs décennies, et c’est ce qui a permis au Québec de se développer et de financer les systèmes de santé et d’éducation mis en place lors de la Révolution Tranquille. La responsabilité sociale des ces entreprises était énorme. Dans ma ville natale, la compagnie subventionnait le logement, les loisirs, les arts, et même un chansonnier qui dénonçait le capitalisme et prêchait la révolution dans ses chansons.
Pourquoi est-ce que ces investisseurs américains et canadiens anglais étaient-ils aussi généreux envers leurs employés québécois ? Parce que c’était avantageux et payant pour eux de l’être. Premièrement, parce que ça leur permettait de se procurer nos ressources naturelles à bon marché ; deuxièmement, il y avait la menace du communisme venu de l’Union Soviétique qui planait sur le monde ; troisièmement, ça créait des consommateurs qui aidaient à faire fonctionner le système en leur donnant la possibilité d’acheter toutes sortes de produits fabriqués par d’autre compagnies qui faisaient aussi partie du même système.
À la même époque, en Amérique latine et ailleurs dans le monde, le capitalisme renversait des gouvernements démocratiquement élus pour mettre à leur place des dictateurs cruels et sanguinaires, assoiffés de pouvoir et d’argent, qui maintenaient les populations locales dans la peur et l’ignorance pour défendre leurs intérêts personnels et les intérêts de ceux qui les contrôlaient. C’est ce qui a donné naissance à ce qu’on a appelé les républiques de bananes. On décidait qu’un pays n’allait produire que des bananes parce que c’est ce dont le système avait besoin. Les syndicalistes et les fauteurs de trouble étaient arrêtés et torturés avant d’être exécutés. C’était l’autre visage du capitalisme, celui que nous ne connaissions pas, parce que ces choses se passaient loin de chez nous, et qu’il n’y avait pas d’internet à cette époque. Il n’y avait que des missionnaires que leurs communautés avaient envoyés travailler auprès des mineurs au Pérou ou au Chili pour combattre le communisme, et qui revenaient en disant au sujet de la classe dirigeante et de la hiérarchie religieuse de ces pays : « Ces gens-là ne combattent pas le communisme ; ils combattent les pauvres et les hommes libres. Si Jésus décidait de revenir sur la terre et de vivre parmi eux, ils le crucifieraient sans hésiter. »
Ici, le capitalisme a commencé à changer de visage quand Reagan était président des États-Unis et Thatcher premier-ministre d’Angleterre. Reagan a donné le ton en congédiant les contrôleurs aériens qui étaient en grève légale. Ensuite, le système communiste a fait faillite, et c’est à peu près à la même époque que les pays de Tiers-Monde ont commencé à offrir aux multinationales la possibilité de fabriquer des produits à moindre prix grâce à leur abondante main-d’œuvre bon marché. Maintenant, quand un gouvernement d'ici veut qu’une entreprise vienne s’établir sur son territoire, il faut qu’il leur accorde des crédits d’impôt et qu'il leur donne des subventions, et là encore, c'est sans avoir la garantie qu’elles vont rester. Pour chaque emploi créé, les gouvernements doivent donner en subventions et avantages de toutes sortes, un montant qui dépasse souvent le salaire annuel que reçoit l’employé qui occupe cet emploi. Le capitalisme n’a aucune loyauté.
Ceci me fait dire qu'en tant que système, le capitalisme n’est ni moral ni immoral ; il est tout simplement amoral. Il peut créer des sociétés justes et équitables si ça peut bien lui servir, mais il peut aussi mettre en place les pires dictatures selon les circonstances et ses besoins ; il peut faire travailler dans une usine ou une mine un enfant de dix ans pour un salaire de famine et dans des conditions horribles ou garantir un revenu décent, des avantages sociaux et assurer une retraite confortable à ses employés. Tout est dans le calul de la marge de profit et de ce qu'il faut faire pour l'obtenir.
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