Les rêveries du retraité solitaire

Par la route, la distance entre Montréal et Natashquan, le village natal de Gilles Vigneault, est de 1,263.2 km. Avant le prolongement de la route 138 en 1996, on ne pouvait s’y rendre que par bateau ou par avion. Il y a plusieurs années, avant le prolongement de la route, au cours d’un de ses spectacles, Vigneault a raconté l’anecdote suivante : Un voyageur de commerce de passage à Natashquan qui faisait un brin de causette avec son père lui a dit à peu près ceci : « Votre coin de pays est magnifique mais vous devez vous sentir énormément loin. » « Loin de qui ? » lui a répondu le père du poète qui était lui-même, je le crois, un peu poète à sa façon.

C’est devenu un cliché de dire qu’on peut se sentir très seul et très loin dans une grande ville dans laquelle on n’a de véritables liens avec personne alors que lorsqu’on est entouré de parents et d’amis, peu importe où l’on est, on n’a pas l’impression d’être loin. Plusieurs évitent de reprendre à leur compte ces lieux communs pour la seule raison que ce sont des clichés. Je crois que c’est une de ces vérités essentielles qu’il faut sans cesse se répéter, comme un écho qui nous vient d’un lointain passé, pour être sûr de ne pas oublier. Le talent, ou le génie, c’est de trouver, comme Monsieur Vigneault, de nouvelles façons de dire les vérités éternelles.

Il y a une autre sorte de distance qui ne se mesure pas en kilomètres ou en milles, mais qui de façon imperceptible, comme les vagues de la mer qui érodent le littoral ou l’avancée du désert qui transforme les prés en dunes de sable, creuse l'écart dans les cœurs et dans les pensées de personnes qui ont déjà vécu très proches les unes des autres. Ça me fait penser à ces quelques lignes de la chanson Les feuilles mortes : « Et la vie sépare ceux qui s’aiment, tout doucement, sans faire de bruit. »