Le tourisme de masse
Il est six heures du matin. Un immense bateau de croisière vient d’accoster dans le port d’une ville européenne. Il y a déjà deux autres mastodontes flottants ancrés face à la ville endormie. Dans quelques heures, de ses entrailles jailliront une horde de touristes qui se dirigeront, comme un troupeau attiré par un aimant, vers le quartier historique de la ville qu’on leur a conseillé de visiter. Ce quartier, une ville fortifiée datant du Moyen-Âge, ne fait guère plus d’un km2. Les passagers déferleront pendant quelques heures dans les rues étroites où les attendent des marchands qui leur vendront des T-shirts, des casquettes, des chapeaux, des bijoux, des napperons, des verres, des tasses, des porte-clés, des sous-verres, des tabliers, des cuillers, des salières et poivrières, des éventails et plein d’autres machins tous fabriqués en Chine, mais arborant le nom et les couleurs de leur ville. Il est ironique de voir des Chinois parcourir des milliers de kilomètres pour venir acheter des bébelles à un prix dix fois plus élevé que ce que ç’a coûté pour les fabriquer dans leur pays. Ils retourneront chez eux avec des souvenirs made in China de Venise, Toulon, Marseille, Barcelone, Naples et Dubrovnik qu’ils montreront fièrement à leurs voisins qui sont peut-être ceux-là même qui les ont fabriqués.
J’ai fait partie de cette meute de touristes au cours d’une croisière en Méditerranée. J’ai vu des paysages magnifiques et des villes splendides. J’ai déambulé dans d’étroites ruelles avec de vieux édifices aux balcons fleuris de chaque côté. J’ai acheté des souvenirs. Je suis entré dans des églises et des musées. J’ai pris des photos : de Maria devant une fontaine, un jardin de fleurs, un vieil édifice, de Maria dans le bateau, devant et derrière le bateau, à côté du bateau, de Maria en train de manger, de danser, de parler avec un chat à Dubrovnik ou de nourrir les pigeons à Barcelone, de Maria en maillot de bain sur la plage ou en robe de soirée dans la salle à manger. On s’est assis dans des cafés pour prendre un cappuccino, vérifier nos courriels et regarder passer les gens. On a fait du kayak dans le fjord de Kotor au Monténégro d’où on avait une vue extraordinaire sur la ville et les montagnes. On a fait du vélo sur une piste cyclable près de la mer en banlieue de Barcelone. Le chauffeur de taxi qui nous a fait visiter les environs de Naples nous a chanté des chansons en italien et même un extrait d’opéra.
C’est vrai qu’on ne peut pas vraiment connaître une ville et ses habitants en n’y passant que quelques heures. C’est vrai que ce n’est pas toujours agréable de se retrouver au milieu d’un flot de touristes à prendre des photos et à acheter des souvenirs qui, à part le nom des villes qui y figurent, sont à peu près les mêmes partout. Il a cependant des expériences inoubliables : ouvrir les rideaux de sa cabine le matin et voir apparaître la ville de Naples, quitter le port de Kotor au soleil couchant et voir les montagnes et les églises se refléter dans la mer comme dans un miroir, se baigner dans la mer en Corse.
Pour s’imprégner de la culture d’un pays et de ses habitants, il faut y séjourner pendant quelque temps soit pour travailler ou étudier, ou, si on a le temps et les moyens, pour y passer quelques mois comme touriste, J’ai eu la chance de travailler pendant plusieurs mois en Louisiane, et ça m’a permis de voir et d’apprendre beaucoup de choses au sujet de la Louisiane et de ses habitants. Mon neveu Dominique a passé plusieurs mois au Mexique pour étudier l’espagnol et apprendre la culture mexicaine. Ce sont des expériences très enrichissantes mais qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Donnez-moi cinq cent ans et cinq cent millions de dollars et j’apprendrai toutes les langues et je me familiariserai avec toutes les cultures.
Quand on ne passe que quelques heures dans une ville, on n’a pas le temps de vraiment voir tout ce qu’on voit. J’ai visité le Musée Maritime de Toulon, et je n’ai eu le temps ni de tout voir ni de bien voir tout ce que j’ai vu. Si je veux voir en détails les pièces qui sont exposées dans ce musée, je n’ai qu’à aller sur internet. C’est la même chose pour la cathédrale Familia Sagrada à Barcelone. Après en avoir vu l’extérieur et un peu l’intérieur, on peut aller en ligne et trouver des photos et des informations intéressantes sur tous les éléments architecturaux de l’édifice et sur son fameux architecte. Visiter rapidement une ville au cours d’une croisière ouvre la porte du cerveau sans y faire entrer les meubles. Ça vient après à condition d’avoir le temps et l’intérêt de le faire. Le fait de passer plusieurs années dans une région ou une ville ne veut pas nécessairement dire qu’on s’intéresse à sa langue et sa culture. Il y a de nombreux Canadiens qui naissent et passent toute leur vie dans une ville de leur propre pays sans apprendre la langue et s’intéresser à la culture de la majorité de ses habitants.
S’il y en a qui vous disent que ça ne vaut pas la peine de faire une croisière parce que vous ne pourrez pas passer assez de temps dans chaque pays, ne les écoutez pas. Si vous avez l’esprit ouvert et que vous êtes curieux, ce sera l’élément déclencheur qui vous donnera le goût d’en savoir plus. Par contre, si vous croyez que votre langue et votre culture sont supérieures à celles des autres, vous pourrez passer vingt ans à Rome, et vous en reviendrez aussi con que quand vous êtes partis.
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