Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

1976

À l’automne 1976, le Parti québécois a remporté les élections au Québec. À ce moment-là, j’étais professeur de français à Lafayette en Louisiane. J’étais devenu ami avec Joanne et Normand, un couple de Québécois aussi professeurs de français. Un beau jour, quelques semaines après les élections, un couple de leurs amis s’est arrêté chez eux pour quelques jours.  Ils étaient en route pour l’Amérique Centrale, et ensuite possiblement l’Amérique du Sud, où ils avaient l’intention de passer l’hiver. Ils nous ont confié que leur but était d’aller, dans un élan de solidarité entre peuples opprimés, rejoindre le plus vite possible leurs frères et sœurs exploités d’Amérique latine.

 

Pendant ce temps-là, au Chili, Pinochet qui avait renversé, avec l’aide de la CIA et de la multinationale AT&T, le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende trois ans plus tôt, faisait régner la terreur sur son pays. La machine à torturer et à tuer fonctionnait à plein régime.  En Argentine, c’est en 1976 que le général Jorge Videla a pris le pouvoir et qu’a commencé ce qu’on a appelé la Guerre sale. Des milliers d’opposants ont été enlevés, torturés et assassinés : des étudiants, des syndicalistes, des journalistes, des prêtres et des religieuses catholiques qui prêchaient la théologie de la libération. On attendait que des femmes enceintes aient fini d’accoucher avant de les torturer à mort. On donnait ensuite les bébés en adoption à des militaires. Les enfants étaient élevés par ceux-là mêmes qui avaient assassinés leurs parents. L’année 1976 manque la fin de la Révolution culturelle en Chine qui, pendant une dizaine d’années, a fait une trentaine de millions de victimes. Le 4 février 1976, le Cambodge est devenu officiellement la Kampuchéa démocratique. On a salué, dans certains milieux intellectuels québécois, la création de ce nouvel état qui fera, dans les quelques années qui suivirent, 1,5 millions de victimes dans un pays qui comptait à peu près six millions d’habitants.

 

Où est-ce que je veux en venir avec tout ça ? Pour moi, il y a des gens soi-disant intelligents qui n’ont aucun sens du ridicule. Comment pouvait-on, en 1976, quand on habitait au Québec, prétendre, d’une part, partager le sort et les conditions de vie des travailleurs chiliens ou argentins et se considérer opprimés de la même façon qu’eux. Comment, d’autre part, des intellectuels québécois pouvaient-ils se dire sympathisants maoïstes ou léninistes après les goulags de l’URSS et la Révolution culturelle en Chine ?

 

Au printemps 1977, après la fin de mon contrat en Louisiane, je suis revenu au Québec. Un chèque de près de deux milles dollars m’attendait. Il y avait eu un ajustement salarial pour l’année scolaire 1975-1976 pendant laquelle j’avais travaillé pour la Commission scolaire. J’ai encaissé mon chèque. J’ai pris l’avion pour la France avec mon vélo, et j’ai passé l’été à visiter à faire du cyclotourisme. Je savais très bien que ma situation n'avait rien à voir avec ce qui se passait dans des pays où les gens étaient vraiment opprimés et privés de liberté.



19/03/2017
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