Le politiquement correct
La rectitude politique, qu'on appelle ausi plus communément le « politiquement correct », est décrié un peu partout dans le monde depuis quelques années. En 2016, un sondage réalisé par Angus Reid révélait que 70 % des Canadiens estimait que le politiquement correct était allé trop loin. J’ai lu cette semaine, en avril 2019, un article qui disait qu’en Europe, non seulement une grande partie de la population, mais aussi la majorité des intellectuels, dénonçaient le politiquement correct. Les dirigeants de nombreux pays comme les États-Unis, les Philippines, la Pologne, la Hongrie et le Brésil sont de fervents détracteurs du politiquement correct ; et il y a dans d’autres pays comme la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie des mouvements qui le rejettent catégoriquement. Le refus de la rectitude politique est, je crois, à l’origine du Brexit en Grande-Bretagne.
Le politiquement correct est apparu aux États-Unis à la fin des années 1970 et au début des années 1980 et il s’est répandu à peu près partout en Occident. C’est un concept qui a été mis de l’avant par ce qu’on appelait la « Nouvelle gauche. » On espérait qu’en changeant les termes utilisés pour désigner certains groupes minoritaires, on allait promouvoir une attitude plus tolérante et une plus grande ouverture à leur égard. Ç’a donné, à mon avis, des résultats positifs : on appelle maintenant handicapés mentaux et physiques ceux qu’on qualifiait jadis de fous et d’infirmes ; et les tapettes et les moumounes sont devenus des gais ou homosexuels et des lesbiennes. Je crois aussi que ç’a rendu la plupart des gens plus tolérants parce que nous avons tous dans nos familles ou parmi nos amis des personnes qui font partie de ces catégories d’individus. Personne, ou presque, ne serait prêt à recommencer à utiliser ces termes dégradants pour manifester son opposition face aux excès du politiquement correct.
Les transgenres ou transsexuels sont apparus plus tard et leur acceptation est loin de faire l’unanimité parmi ceux qui trouvent que le politiquement correct est allé trop loin. On l’a vu avec la controverse provoquée autour de l’utilisation des toilettes publiques dans certains états américains et en ce qui a trait à l’enrôlement des transsexuels dans l’armée.
Ce qui est venu brouiller les cartes, c’est quand le politiquement correct a commencé à élargir son autorité et son territoire à l’environnement, l'alimentation, la santé, la culture et la politique.
Pour ce qui est de l’environnement, là encore les attitudes ont changé. Nous avons pris l’habitude de recycler et nous nous sentirions coupables de jeter le plastique dans les poubelles, comme on le faisait avant, maintenant que nous sommes conscients des dommages que ça peut causer à l’environnement. À savoir si tout le plastique est vraiment recyclé, ça, c’est une autre histoire…
Quand j’étais enfant en Gaspésie, la papeterie qui faisait vivre la ville déversait 24 heures par jour des produits chimiques qui se répandaient dans la mer. Quand nous prenions illégalement le raccourci situé sur la propriété de la compagnie pour nous rendre à la plage, nous devions traverser un petit pont qui enjambait un ruisseau d’écume nauséabonde et fumante qui nous brûlait les yeux. Ce ruisseau allait directement se jeter dans la mer. Pendant la journée, surtout en été, quand nous devions passer devant la papeterie pour aller au magasin ou au bureau de poste, il y avait un acide qui flottait dans l'air, qui nous prenait à la gorge et nous faisait tousser. C’était le prix à payer pour avoir des jobs. Je crois que personne ne serait prêt à retourner à cela.
Là où le bât blesse, c’est quand les défenseurs les plus zélés de l’environnement viennent faire la leçon à ceux qui le sont moins, et pire encore, quand les gouvernements se mêlent de légiférer en imposant des contraintes qui ont des répercussions financières sur les individus. Personnellement, dans le contexte actuel, je suis persuadé que la taxe sur le carbone est le seul moyen de ralentir les conséquences de l’effet de serre sur le climat et l’environnement. Les compagnies ne réduiront leur production de gaz carbonique que s’il y a un prix à payer pour continuer à le faire. Les humains ne vont à l'encontre de leurs intérêtes que quand ils n'ont pas d'autres choix. À ce point de vue-là, je suis comme tout le monde, et je ne suis pas en mesure de faire la morale à qui que ce soit. Je voyage en avion et je fais des croisières : deux des choses les plus dommageables pour l’environnement. S’il y avait une taxe environnementale très élevée à payer, je n’aurais plus les moyens de voyager et de polluer. La réaction de la plupart des gens quand ils voient qu’il y a un prix personnel à payer pour sauver la planète, c'est de s'en prendre au politiquement correct pour se défouler.
C'est un peu la même chose pour la santé et l'alimentation. On nous fait nous sentir coupable quand nous commettons des excès et que nous n'adoptons pas des habitudes de vie et une alimentation saines. Pour ma part, je ne me suis jamais senti épié ou jugé à ce niveau-là. Je consomme moins de sucre et de sel parce que je sais que ce n'est pas bon pour la santé de trop en consommer. Je ne recommencerai pas à manger comme je le faisais quand j'étais moins informé juste pour faire chier les apôtres de la bonne alimentation et de la rectitude politique. Par contre, je mange de la pizza et des frites de temps en temps sans me sentir coupable...et je m'achète toujours des cigares quand je vais à Cuba. Et si je fais du yoga, du kayak, du vélo et du ski de fond, c'est parce que ça me rend heureux, pas parce que je me sens obligé de me conformer à des règles qui me sont imposées.
C’est probablement dans les domaines culturel et politique que le ressentiment envers le politiquement correct est le plus grand. L’arrivée massive d’immigrants fuyant la guerre ou des conditions économiques difficiles dans leurs pays d’origine crée un conflit entre ceux qui arrivent avec des valeurs et des façons de vivre différentes et ceux qui sont déjà ici et qui ont aussi leurs valeurs et leurs façons de vivre. C’est ce qui a donné lieu, au Québec, à toutes les discussions qui perdurent encore autour des accommodements raisonnables et de la laïcité.
On voit, de part et d’autres, des gens adopter des positions qui accentuent le conflit au lieu de l’amoindrir. Des immigrants insistent sur l'obligation de porter des vêtements religieux et de respecter des règles qui n’existaient pas dans leur pays d’origine avant qu'elles ne leur soient imposés de façon très violente par des mouvements fondamentalistes financés par les monarchies du golfe dans les années 1990. Il y a des Québécois de souche qui s’imaginent que tous les immigrants voudraient les obliger à abandonner leur religion, qu’ils ne pratiquent plus depuis belle lurette, et qui n'osent plus se souhaiter « Joyeuses Fêtes ! » comme le faisaient spontanément leurs parents et leurs grands-parents, et eux-mêmes, il n’y a pas si longtemps, et qui s’en tiennent au seul « Joyeux Noёl ! » qu'ils clament haut et fort, comme pour marquer leur territoire, pour ne pas avoir l’air d’abdiquer devant la pression venue d'ailleurs.
Plusieurs Canadiens trouvent que Justin va trop loin dans le politiquement correct quand il s’affuble d’un costume traditionnel et d’un turban lors d’un voyage en Inde, quand il laisse, selon eux, entrer trop de réfugiés au pays, ou quand il déclare que notre pays est le premier pays post-national et que nous n'avons jamais eu notre propre culture, mais ils n’aimeraient pas non plus voir notre premier-ministre se moquer d’une personne handicapée dans un discours, refuser de condamner les mouvements racistes d’extrême-droite, ou séparer des enfants de leurs parents à la frontière comme le fait le président des États-Unis.
Je crois que le balancier n’est pas encore allé jusqu’au bout dans la réaction contre la politiquement correct. Le mouvement emportera Justin et d'autres adeptes du politiquement correct. Il est toujours très difficile pour les humains de trouver le juste milieu. Après ça, le balancier ira de l'autre côté et ça donnera lieu à d'autres excès d'un autre ordre. Le balancier ne s'arrête jamais au milieu, là où il devrait s'arrêter.
Voilà, c'est un peu ce que je pense, mais je ne voudrais surtout pas que ce que je pense devienne une façon de penser et une autre expression du politiquement correct.
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