Le départ de Pierre-Alain Bugeaud
La Rochelle, 1690
Un chroniqueur a invité un jeune homme à partager avec lui un repas dans une auberge située près du port. Dans quelques heures, le jeune homme s’embarquera sur un navire appelé L'oranger à destination de la Nouvelle-France. Le chroniqueur veut écrire un article qu’il a l’intention de publier à Paris pour donner un visage à ceux qui ont décidé de partir et pour tenter de comprendre ce qui les motive à quitter leur pays.
-Vous avez quel âge ?
-Dix-huit ans.
-Et vous vous appelez ?
-Pierre-Alain Bugeaud.
-Vous êtes de La Rochelle ?
-Non, je suis de Saint-Ciers-du-Taillon. C'est à une vingtaine de lieux d'ici.
-Il y a beaucoup de communes protestantes dans la région. Vous êtes protestant ?
-J'ai été baptisé au temple de Chez Garraud à Bois. Le temple a été détruit en 1683, deux ans avant la révocation de l’Édit de Nantes. J’avais onze ans. Maintenant ma famille est catholique.
-Vous êtes donc un jeune bougre d’une petite commune des environs de La Rochelle, né dans une famille protestante qui a été pour ainsi dire forcée de se convertir au catholicisme après la révocation de L’Édit de Nantes. C’est bien ça ?
-Oui, c’est un peu ça.
-Mais dites-moi, jeune homme, sans indiscrétion, pourquoi diable vous n’avez pas choisi d’émigrer vers un pays protestant comme la Suisse ou la Hollande ? Ça vous aurait permis de pratiquer librement la religion dans laquelle vous avez été baptisé.
-Pour moi, la religion qu’on professe n’a pas tellement d’importance. C’est ce qu’on croit dans son cœur qui est important. Je veux aller en Acadie. C’est un nom qui me fait rêver depuis la première fois que je l’ai entendu. Je le répète sans cesse dans ma tête...comme une prière.
-Et vos parents, qu’est-ce qu’ils pensent de votre décision ?
-Ils auraient préféré me voir partir en Hollande ou en Suisse.
-Et votre père, il fait quoi ?
-Il est notaire. Il m’a appris. C’est ce que j’aimerais faire quand je serai là-bas. Il m’a écrit des lettres de recommandation.
-Mais pourquoi partir pour la Nouvelle-France, pour l’Acadie comme vous dites, quand vous pourriez aller en Hollande ou en Suisse, et peut-être même y faire venir vos parents quand vous serez bien installé et que aurez une situation confortable ?
-Comme je vous l'ai dit, l'Acadie, pour moi, c'est un rêve. C’est comme s’il y avait quelque chose en moi qui me dis que c’est là que je dois aller, que c’est mon destin.
-Comment vous sentez-vous maintenant, à quelques heures du départ ?
-Je me sens un peu triste, c’est sûr, parce que je sais que je ne reverrai probablement plus jamais mes parents, et mes frères et mes soeurs. Mais en même temps, je ressens une grande joie et une excitation. C'est comme si j'allais m’envoler comme un oiseau. Si j’étais un poète ou un troubadour, j’écrirais un poème ou une chanson pour exprimer ce que je ressens, mais je n’ai malheureusement pas de talent.
-Peut-être qu’un jour quelqu’un écrira un poème ou une chanson qui exprimera très bien ce que vous ressentez. Une dernière question et je vous laisse finir votre repas en paix : Si un jour un de vos descendants, peut-être portera-t-il le même prénom que vous, lit la chronique que je m’en vais écrire sur vous, qu’est-ce que vous aimeriez qu’il sache de vous et qu’est-ce que vous aimeriez lui dire ?
-Tout d’abord, j’aimerais qu’il prenne quelques instants pour penser à moi. J’aimerais qu’il sache que je n’étais pas très différent de lui quand il avait mon âge, que j’aimais peut-être un peu trop le vin et que j’avais souvent la tête dans les nuages. Et puis je lui dirais de ne pas avoir peur du changement, de ne pas hésiter à brasser les choses dans son cœur et dans sa tête quand ça devient trop confortable. Ce n’est pas nécessaire de traverser l’océan comme moi pour faire ça.
-Je suis très heureux d’avoir fait votre rencontre, jeune homme. Je vous souhaite une bonne traversée et que Dieu vous bénisse et vous garde, celui des protestants tout comme que celui des catholiques.
Je suis certain que Pierre-Alain Bugeaud aurait aimé cette chanson :
https://www.youtube.com/watch?v=y9vrFrtbzLs
Certificat de baptême de Pierre-Alain Bugeaud
P.-S. : En 1695, à l'âge de 23 ans, Pierre-Alain Bugeaud épousera Élisabeth Melanson. Ils auront cinq garçona et une fille. Je suis un de leurs descendants. Il mourra en 1708 à l'âge de 36 ans. J'ai écrit ce texte à partir des informations que j'ai trouvées sur la famille Bugeaud/Bujold dans un article intitulé Histoire de la famille Bujold. Vous pouvez trouver l'article dans la section généalogie de mon blogue.
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