Le baseball et la vie
Je me souviens que lorsque j’étais professeur de français langue seconde, j’avais demandé un jour à mes étudiants de faire une courte présentation en français sur un sujet de leur choix. Un avocat, originaire du Nouveau-Brunswick, qui avait passé l’âge de la retraite mais qui travaillait encore parce qu’il aimait son travail, nous a fait une présentation dans laquelle il a comparé le baseball et la vie. Il nous a dit que pour lui la vie était un peu comme un match de baseball. Pendant un grand bout de temps, il ne se passe pas grand-chose, et puis, tout à coup, il y a une série d’événements qui se succèdent très rapidement et qui viennent tout chambarder.
Au baseball, ça peut être un joueur qui frappe solidement la balle, permettant ainsi aux deux joueurs qui étaient sur les buts de rentrer ; la balle passe ensuite comme un éclair d’un joueur à l’autre de l’équipe adverse, et le frappeur est éliminé dans sa course entre le deuxième et le troisième but. Puis, tout redevient calme pendant un autre grand bout de temps. Dans la vie, en l’espace de quelques mois, ça peut être un divorce suivi d’un décès, le départ d’un enfant de la maison pour se marier ou d'un parent qui s’en va dans un foyer pour personnes âgées, le changement de ville, d’emploi ou de carrière, ou la rencontre d’un nouveau partenaire de vie. Et puis, tout redevient calme pendant un autre grand bout de temps.
J’ai très peu de souvenirs de baseball qui remontent à mon enfance. Je n’étais pas doué pour les sports d’équipe et je dois dire que ça ne m’intéressait pas tellement. J’étais plutôt du type solitaire. Mes premiers vrais souvenirs de baseball datent du début de mon adolescence. J’habitais à Jonquière à cette époque-là et j’avais un ami qui s’appelait Benoît. Ensemble nous nous rendions au parc en essayant de nous rappeler les paroles des chansons de Bécaud. Nous aimions beaucoup les mots et la poésie. Benoît est devenu journaliste au journal Le Devoir et j’ai vu dans Facebook qu’il aimait encore le baseball. Nous nous lancions la balle pendant une quinzaine de minutes. Après ça, un des deux prenait le bâton et frappait des flies que l’autre essayait d’attraper. Avec mon astigmatisme, je voyais quelquefois deux balles et je ne savais pas laquelle attraper. Ça m’étonne que je ne me sois jamais cassé le nez.
Quelquefois, nous mettions ensemble notre fortune pour acheter le Sport Illustrated à la tabagie du coin avec plein de photos couleurs de joueurs de hockey, de football, de basketball, et bien sûr, de baseball. Je me souviens d’un lanceur de l’équipe de Kansas City qui s’appelait Juan Marichal qui levait la jambe très haute quand il lançait. Nous regardions quelquefois, mais pas souvent, des matches à la télé chez Benoît en mangeant des chips et en buvant du Coke ou du Pepsi, et aussi, comme on disait au Saguenay, du crime soda et de l’orange croche. Nous ne nous intéressions pas aux filles. La sœur de Benoît nous a dit que plusieurs d'entre elles s’intéressaient à nous, mais nous, on ne les voyait pas. C’est probablement ce qui nous rendait intéressants.
Pendant plusieurs années, je n’ai plus pensé au baseball. Plus tard, quand j’étais professeur de français à la Banque du Canada, mes collègues André, Marc et Balou allaient assez souvent aux États-Unis pour assister à des matches. Quand ils revenaient, ils parlaient avec enthousiasme de l’ambiance dans les vieux stades, des amateurs qu’ils avaient rencontrés au stade Fenway Park de Boston, professeurs au MIT (Massachussetts Institute of Technology), férus de statistiques sur tout ce qui avait trait au baseball. Après avoir quitté la Banque, Marc, un gars doué d’une intelligence remarquable et d’un humour fin et subtil, qui a écrit et continue d’écrire des scénarios de films et pour des émissions de télévision, a publié un livre de six cents pages, bourré de statistiques et d’anecdotes, sur les Expos de Montréal, une équipe de baseball qui a cessé d’exister depuis longtemps. Je me suis dit en voyant cela qu’il devait y avoir quelque chose qui m’échappait dans le baseball pour expliquer la fascination que ce sport exerçait sur des esprits aussi brillants.
J’étais retraité quand je suis allé pour la première fois à un match de baseball avec mon ami André. Les joueurs que nous avons vus jouer étaient des professionnels une coche en dessous des ligues majeures, m'a dit André. C’est très impressionnant de voir comment ils pouvaient lancer la balle exactement où elle devait aller. Il y avait beaucoup de têtes chauves et grises dans l’assistance. André m’a expliqué que le baseball était de moins en moins populaire chez les plus jeunes au Canada mais qu’aux États-Unis c’était un peu différent. Le rythme rapide du basketball attire plus les jeunes que le baseball. Nous avons mangé des hot-dogs et des frites. Il y avait une atmosphère très festive. Tout le monde souriait. Nous avons regardé distraitement le match pendant les temps morts tout en parlant de différentes choses relatives à la vie en général. Quand il se passait quelque chose d’intéressant sur le terrain, on regardait, et puis quand c'était fini, on retournait à notre conversation là où nous l’avions laissée. Je me demande de quoi peuvent bien parler les éminents professeurs du MIT pendant les temps morts d’un match de baseball. Peut-être sont-ils en train de d’élaborer les concepts qui serviront de base aux technologies que nous utiliserons dans cinq ans ? Nous sommes retournés voir quelques matches ensemble après ça.
Quand le soir descend sur la ville et qu’on est assis dans un stade illuminé, comme un œil ouvert au creux de la nuit, c’est magique. On se sent un peu en dehors du monde, isolé dans une bulle de clarté avec quelques milliers d’autres personnes autour de nous avec qui on se sent tout à coup uni. Et puis, à la fin de la septième manche, on se lève pour chanter Take Me Out to the Ballgame. Je me souviens d’un vieux couple qui faisait les gestes qui accompagnent la chanson comme ils devaient le faire depuis qu’ils s'étaient rencontrés une cinquantaine d’années plus tôt. Quelquefois, à la fin de la septième manche, on chante Sweet Caroline ; quelquefois, on chante les deux.
Il y a toute une tradition, je dirais presque une mythologie, liée au baseball. Le baseball fait partie intégrante de l’histoire des États-Unis. On se souvient de Jackie Robinson, le premier joueur de couleur, comme on disait à l'époque, à pouvoir jouer dans les ligues majeures. Le baseball a ses héros qui appartiennent à un passé souvent idéalisé. Tous les Américains savent que c’est Yogi Berra qui a prononcé la phrase devenue célèbre : « It’s not over until it’s over. » Jo DiMaggio était considéré comme un gentleman autant sur le terrain qu’à l’extérieur du terrain. Simon and Garfunkel lui ont rendu hommage dans leur chanson Mrs. Robinson :
« Where have you gone, Joe DiMaggio?
A nation turns its lonely eyes to you
Woo, woo, woo
What's that you say, Mrs. Robinson?
Joltin' Joe has left and gone away »
Même si j’en suis venu à aimer et apprécier le baseball et tout ce qui gravite autour, je ne comprends toujours pas pourquoi des savants qui peuvent faire des calculs permettant d’envoyer des humains sur la lune et inventer l’informatique et les ordinateurs peuvent également s’intéresser à des statistiques sur la moyenne au bâton d’un joueur de baseball. Peut-être que si j’avais un QI plus élevé, je comprendrais.
Pour moi, dans mon expérience personnelle, baseball rime amitié. Il constitue avec le jazz, le blues, le swing et le rock'n roll, quelques grands film, plusieurs romans, une multitude de très bonnes chanson, les vélos tout terrain, les parcs nationaux et les Alcooliques Anonymes ce que l’Amérique a eu de meilleur à offrir au monde.
Take Me Out to the Ballgame
https://www.youtube.com/watch?v=WtB5Uo15ysU
Sweet Caroline
https://www.youtube.com/watch?v=tpFdVmtCb6w
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