La Vérité et la vérité
Pour moi, la Vérité (avec un grand ‘V’) c’est ce qui englobe tout le reste. C’est ce sur quoi reposent nos convictions et nos valeurs les plus profondes. Dans plusieurs religions, cette Vérité est liée à une révélation transmise par un livre sacré comme la Bible, le Talmud ou le Coran. Elle peut aussi venir d’une religion ou d’une philosophie inspirée par les enseignements ou les écrits d’un sage ou d’un philosophe. On peut penser à Bouddha, Confucius, Socrate ou Karl Marx. La Vérité, ça peut être aussi pour certains un mélange de plusieurs choses, un amalgame de principes et de valeurs provenant de différentes sources. Pour d’autres, ça se résume à La Déclaration des droits de l’homme.
La vérité (avec un petit ‘v’) c’est ce qui correspond à la réalité qu’on peut directement ou indirectement observer. Si on se rend compte qu’il pleut en sortant de la maison, on sait que c’est la vérité parce que c’est une chose qu’on peut directement observer. Par contre, si nous croyons que Charlemagne, César et Napoléon ont existé, c’est parce que des historiens fiables nous ont parlé d’eux, et non pas parce que nous les avons vus et entendus, comme Hitler et Staline, dans des films documentaires à la télévision. Et si nous croyons que les changements climatiques sont liés à l’activité humaine comme l’affirment les scientifiques qui étudient le phénomène depuis plusieurs décennies plutôt que les politiciens qui nous disent le contraire, c’est parce que nous avons choisi de faire confiance aux uns plus qu’aux autres. Plusieurs mettent cependant en doute les conclusions des scientifiques et croient davantage les politiciens qui leur disent ce qu’ils veulent entendre pour se faire du capital politique. Nous pouvons donc dire que la vérité qui est indirectement observable, contrairement à celle qui pour nous est directement observable comme la pluie qu’on peut voir et sentir nous tomber sur la tête, est sujette à des interprétations et des manipulations de toutes sortes.
Même si, d'une part, la Vérité qui est plus du domaine de la subjectivité, des croyances et des valeurs, et que, d'autre part, la vérité qui est beaucoup plus empirique et jusqu’à un certain point vérifiable, se situent à des niveaux différents, le rapport entre les deux peut devenir une source de conflit pour un individu ou une société qui tente de les concilier. Très souvent, quand on se rend compte que la vérité contredit ce que l’on considère être la Vérité, la tentation est grande de changer l’une ou l’autre pour les faire coïncider. On peut alors soit nier ce que nous révèlent nos sens et le bon sens parce que ça contredit notre Vérité ou on peut changer notre Vérité pour la rendre plus compatible avec la vérité que nous avons choisi de privilégier. Tout ceci peut se passer à un niveau individuel autant que collectif. Au niveau individuel, ça peut être de mentir par intérêt tout en sachant que la Vérité absolue à laquelle on adhère ne tolère pas le mensonge. On peut toujours se dire que même si on a commis un petit écart justifié par les circonstances, on demeure malgré tout fidèle à ses valeurs et à ses convictions.
Au niveau collectif, l’histoire et l’actualité nous donnent de nombreux exemples d’efforts pour empêcher la vérité de venir contredire et mettre en doute la Vérité à laquelle adhèrent les membres d’un groupe ou d’une société. On peut penser à la répression exercée par l’Église catholique contre les découvertes de savants comme Galilée, Bruno et Copernic concernant la place occupée par la terre dans l’univers. Il y a eu aussi, à une autre époque, ces intellectuels et militants qui ont continué à croire ou à faire semblant de croire au communisme stalinien, même après que la réalité des goulags a été connue de tous. Aujourd’hui, aux États-Unis, il y a de nombreux chrétiens évangéliques qui sont prêts à accepter tous les mensonges, le racisme, la misogynie, la malhonnêteté, le cynisme et la cruauté de Donald Trump parce qu’ils croient que c’est pour eux la meilleure façon de faire avancer politiquement leur cause et de faire triompher leur Vérité.
Ce qui m’a incité à écrire cet article est la révélation qui a été faite dans les médias cette semaine que Jean Vanier, le fondateur et directeur de l’Arche, décédé il y a quelques années, a abusé sexuellement de femmes en position de vulnérabilité avec qui il est entré en contact dans le cadre de ses fonctions. L’Arche est cet organisme qui a fait et qui continue de faire tant de bien pour apporter plus de douceur et d’humanité dans la vie de personnes souffrant de lourds handicaps mentaux. Il est important de souligner que l’enquête qui a mené à ces révélations troublantes a été commandée par la direction de l’Arche à la suite des témoignages des victimes de ces abus.
Pour moi, tout dans Jean Vanier (sa voix, son regard, ce qu’il a dit, ce qu’il a écrit, ce qu’il a accompli) correspondait à l’image que je me faisais d’un saint. Comment réagir face à ces révélations si on partage la foi et la conception qu’avait Jean Vanier de ce qu’est la Vérité ? On peut soit tout simplement nier ce qui est arrivé et se dire que Jean Vanier n’aurait pas pu poser de tels gestes, ou on peut en conclure qu’on s’est fait berner et que ce qu’on croyait être la Vérité n’était pas vraiment la Vérité.
Personnellement, ces révélations m’ont beaucoup surpris mais ne m’ont pas ébranlé comme elles auraient pu le faire il y a une trentaine d’années. Je me dis que s’il y a une Vérité, elle doit être en mesure d’assumer et d’englober toute la vérité, quelle qu’elle soit. J’ajouterais que même si la conception de ce que je crois être la Vérité a quelque peu changé depuis une trentaine d’années, elle reste fondamentalement la même. Je crois cependant qu’il faut faire de son mieux pour rester fidèle à la Vérité simplement parce que c’est la Vérité mais sans attendre de consolation et de récompense en échange.
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