Les rêveries du retraité solitaire

Je sais que j'ai déjà écrit un article sur le même sujet il y a quelques années mais j'avais tout simplement le goût d'en écrire un autre.

C’est la première neige de la saison, la première vraie neige.

Il est tombé une dizaine de centimètres la nuit passée. Il avait déjà neigé deux ou trois fois, mais comme aurait dit ma mère, pas pour la peine, pas assez pour faire du ski de fond.

Quand j’arrive au P8, près d’Old Chelsea, le parking est presque plein. L’équipe d’entretien vient de finir de tracer les pistes avec les machines. Comme à chaque année, je me sens un peu fébrile. J’ai des papillons dans le ventre et des fourmis dans les jambes.

Le corps n’a pas oublié. Je me souviens que mon entraîneur nous parlait de la mémoire musculaire. Je retrouve rapidement le rythme et les mouvements. Je glisse allègrement sur la neige. D’une année à l’autre, j’oublie cette sensation. C'est la première neige. J'ai plus de 70 ans...et je suis heureux comme un enfant le jour de Noël.

Les skieurs que je rencontre me sourient et je leur souris. On échange des salutations et quelques mots : « Enfin, la neige est arrivée ! «  « Great day for skiing ! »

De retour au P8, il y a un petit groupe de jeunes qui font partie d’une équipe. Ils portent les mêmes vêtements aux couleurs vives qui contrastent avec la blancheur de la neige. Ils parlent de techniques, d’équipement et des compétitions à venir. Ils ont fait du vélo tout-terrain et du ski à roulettes pendant tout l’automne pour se préparer pour la saison de ski et ils sont gonflés à bloc.

Je les regarde et je les écoute parler, et ça me ramène 35 ans en arrière. On était un petit groupe et on s’entraînait ensemble deux fois par semaine. Il y avait Éric qui réparait des motos et Benoit qui enseignait la philo. Il y avait Hélène qui était infirmière et Charles qui était journaliste. Il y en avait aussi quelques autres venus d’horizons très différents qui étaient toujours fidèles au rendez-vous. Marc était notre entraîneur. On était là pour partager une passion et pour le plaisir d’être ensemble. On riait, on faisait des blagues et on skiait.

Cet hiver, dans les sentiers du Parc de la Gatineau, je rencontrerai sûrement des skieurs qui faisaient partie de notre groupe. Je croiserai probablement Gilbert et Jacques, pas ensemble, mais seuls comme des vieux loups solitaires avec des skis qu’ils possèdent depuis au moins un quart de siècle. Ils porteront les tuques et les vestes aux couleurs défraîchis de notre club, ces couleurs jadis si vibrantes que nous avions choisies ensemble il y a longtemps.

C'est moi au début des années 1990

Quand je rentrerai à la maison, Maria me demandera : « How was your skiing ? » Et moi, comme à chaque fois, je lui répondrai : « Great ! It was great ! »