Les rêveries du retraité solitaire

À condition qu’elle soit un peu embellie et adoucie par le temps, la mémoire est une faculté extraordinaire qui nous ouvre la porte du monde merveilleux de la nostalgie. Nous, les humains, avons cette unique capacité de retourner en arrière et de revivre en les idéalisant quelque peu les souvenirs de notre passé. Nous pouvons recréer les ambiances, nous remémorer les sons et les odeurs d’antan, revoir des visages et des paysages, et retrouver un peu de l’état d’esprit dans lequel nous étions quand nous avons vécu certaines choses.

Je me souviens des derniers moments que j’ai passés avec ma tante quand j’allais lui rendre visite à l’hôpital un peu avant son décès. Elle commençait à me parler de ses souvenirs ; et puis, elle fermait doucement les yeux, et je voyais apparaître lentement un sourire sur ses lèvres. Elle n’était plus là, confinée dans un lit dans une chambre d’hôpital. Elle marchait sur une plage de la Martinique ou bien elle était assise dans un traîneau tiré par des chevaux, emmitouflée dans une épaisse fourrure, blottie contre sa mère, par une nuit froide et étoilée d’hiver, il y a très longtemps, sur chemin couvert de neige, quelque part en Gaspésie.

Il y a sur YouTube une série de vidéos intitulée 1420 dans lesquels un gars pose des questions à des gens rencontrés au hasard dans les rues de Moscou. Les questions et les réponses sont sous-titrées en anglais. Un jour, il a demandé aux gens s’ils avaient la nostalgie de l’Union Soviétique, ou pour les jeunes qui ne l’avaient jamais connue, s’ils auraient aimé vivre à cette époque. En général, les plus jeunes disaient non. Pour les baby-boomers russes, les réponses étaient partagées. Un vieil homme a dit : « Quelle question stupide ! Pour avoir la nostalgie de cette époque, il faut ne jamais l’avoir vécue. » Une vieille dame, elle, a dit qu’elle était nostalgique de cette époque. Le gars lui a demandé pourquoi. Elle a répondu qu’à cette époque, les gens pouvaient vivre dans le présent car le passé d’avant la Révolution était fini pour toujours, et que le futur ne pouvait être que la continuation du présent. Plusieurs de ceux et celles qui avaient la nostalgie de cette époque disaient que ce qu’ils regrettaient le plus, c’était la stabilité.

Je crois qu’il y a deux formes de nostalgie : celle des sens et celle de la raison. Elles se confondent souvent, mais il y a toujours une de ces deux formes qui domine dans ce que j’entends ou je lis. Pour ma part, je dirais que je suis plutôt un nostalgique des sens que de la raison. Il me revient quelquefois le souvenir de sensations associées à des choses que j’ai vécues qui me plonge dans une douce nostalgie, et je trouve ça magique. Par contre, je n’ai pas cette nostalgie plus rationnelle qui me ferait dire que tout était mieux quand j’étais jeune, non pas parce que je ne crois pas qu’il y avait des choses qui étaient meilleures à cette époque, mais plutôt parce que c’est une nostalgie qui ne me fait pas vibrer. De plus, je crois qu'il y a souvent de l'amertume liée à cette forme de nostalgie.

Cette chanson illustre très bien ce qu’est pour moi la nostalgie. Ça parle d’un soir d’été il y a très longtemps. Night of summer long ago, stars were falling from the sky. La nostalgie embellit les choses et transforme nos souvenirs pour nous aider à ne jamais les oublier, et pour qu’ils soient encore là pour nous réconforter quand il ne nous restera plus rien d’autre.

 https://www.youtube.com/watch?v=RPzGRprA-FY

 La nostalgie ajoute de la poésie à nos souvenirs.