Les rêveries du retraité solitaire

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La langue de chez nous

La langue de chez nous, ce fut d’abord les six dialectes que nos ancêtres ont amenés avec eux dans leurs bagages quand ils ont traversé l’océan pour venir s’établir en Nouvelle-France. Arrivés ici, pour pouvoir se comprendre, ils ont adopté comme langue commune le parler du roy qui était, bien sûr, la langue parlé par le roi et son entourage mais aussi celle des habitants de la région parisienne et de l’Île-de-France. Après la Conquête par les Anglais, les Français sont retournés chez eux alors que ceux qu’on appelait les Canayens sont restés ici.

 

Un quart de siècle plus tard, Les Français ont fait la révolution dans leur pays et il y eut par la suite différentes formes de gouvernement dont un bref retour à la monarchie et deux empires. C’est pendant la Troisième République que le français est devenu la langue commune des Français dans l’espace public. « Les lois de Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique de 1879 à 1883, permettent de démocratiser la langue française et de l'imposer sur tout le territoire. » La langue parlée par les bourgeois de la grande région parisienne est devenue la norme pour tout le monde, mais ça ne veut pas dire que les dialectes ont complètement disparu pour autant. Je me souviens d’un gars que j’ai rencontré en France en 1977 quelque part entre Paris et Rouen. Le gars m’a invité à manger chez lui. Avant d’entrer, il m’a dit comme pour me prévenir : « Ya ma grand-mère qui habite avec nous mais elle ne parle que le patois. »

 

Ici au Canada, nous avons gardé dans notre langue de tous les jours des structures grammaticales ainsi que plusieurs mots et expressions que nous avaient légués nos ancêtres dans leurs dialectes. À cela s’est ajouté beaucoup de mots anglais que nous avons introduits dans notre langue pour nous permettre de parler d’un tas de choses qui ont fait leur apparition dans nos vies après le départ des français, des choses techniques comme l’électricité, les trains, la mécanique automobile, la fabrication du papier, etc.

 

Nos élites, membres du clergé et notables, qui allaient quelquefois en France, mais aussi nos maîtresses d’écoles et nos parents, nous disaient que pour bien parler, il fallait tenter d’imiter le plus possible la façon de parler des Français.

 

Au début de la Révolution tranquille, nos chansonniers comme Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland, Raymond Lévesque, Georges Dor et plusieurs autres écrivaient et chantaient dans un français qui ressemblait beaucoup à celui qui était parlé en France. C’est avec Robert Charlebois que les choses ont commencé à changer. Et au théâtre, il y a eu Michel Tremblay qui a commencé à écrire des pièces de théâtre dans une langue qui ressemblait beaucoup plus à la langue que nous parlions entre nous tous les jours.

 

Et c’est là que la langue est devenue pour nous une façon d’affirmer notre identité et de nous distinguer. Nous avons gratté le fond des tiroirs de nos mémoires pour trouver le plus grand nombre possible de mots et d’expressions typiquement de chez nous. Plus c’était saugrenu et inusité, mieux c’était. Nous avons décidé d’être fiers et de ne plus avoir honte de notre façon de parler. Nous avons utilisé la langue d’ici pour chanter, écrire des pièces de théâtre, faires des films et de l’humour.

 

Parallèlement à ça, nous avons décidé de remplacer par des mots français que nous ne connaissions pas encore tous les mots anglais que nous utilisions au travail. Je me souviens d’avoir enseigné la terminologie ferroviaire à des employés francophones à la fin des années 1970 et au début des années 1980. La terminologie que nous leur enseignions était inspirée par celle utilisée par les cheminots français. Je l’apprenais au fur et à mesure que je l’enseignais. Quand je leur ai dit que ce qu’ils avaient toujours appelé un gondola car s’appelait en français wagon tombereau à fond parabolique, un des participants m’avait dit : « Tabarnack, c’est ben trop long ! Comment tu veux que je me souvienne de ça ? »

 

Aujourd’hui, ce qui inquiète le plus les francophones d’ici, ce ne sont pas les anglicismes. Ils savent qu’avec les nouvelles technologies, le monde entier utilise des termes anglais. Ils savent aussi que les Français utilisent plein de mots anglais dans différents domaines comme la gestion qu’ils appellent management, la recherche, la publicité, les publications scientifiques et techniques, etc.  Ce qui inquiète les francophones d’ici, c’est notre poids démographique qui diminue au Canada avec la dénatalité et les immigrants qui arrivent ici en nous demandant pourquoi ils devraient apprendre une langue que nous parlons d’une façon différente et qui n’est parlée que par 2% de la population des habitants de ce continent.  

 

La langue reste ici un sujet très délicat. Notre langue est trop liée à notre identité et à notre survie pour que nous puissions en parler sans devenir émotifs. Pour plusieurs, changer notre façon de parler, ce serait comme renier ce que nous sommes.  

 

Quelles soient d'ci ou d'ailleurs, les langues peuvent être utilisées à plusieurs fins : négocier, convaincre, louanger, féliciter, ridiculiser, remercier, contredire, argumenter, débattre, organiser, approuver, mentir, planifier la paix et planifier la guerre, s’excuser, frauder, injurier, se quereller, interdire, accueilir, bannir, se réconcilier, pardonner, séduire, parler d’amour, voyager, décrire, conseiller, mettre en garde, faire des discours et de la politique, faire de l'humour, faire de la recherche, prêcher, prier, penser, méditer et réfléchir.

 

Mais en bout de ligne, à quoi serviraient les langues si ce n’est à nous conduire vers plus d’amour et de lumière.

 

Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous.

 

https://www.youtube.com/watch?v=_LTVQoEKNps



16/09/2023
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