Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

L'odeur de l'argent

On dit que l’argent n’a pas d’odeur. Pour mon père, l’argent sentait les œufs pourris. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, nous habitions à Thurso, la ville petite ville qui a vu naître Guy Lafleur, et qui était reconnue pour les odeurs nauséabondes que dégageait la papeterie où travaillait mon père. Je me souviens qu’un cousin venu de Montréal lui avait dit : « Comment est-ce que vous pouvez vivre dans un endroit pareil ? Ça pue ! » Mon père lui avait répondu : « Ça, mon cher, c’est l’odeur de l’argent. »

 

Il ne parlait pas de l’argent qui donne aux riches leurs privilèges et leur pouvoir, leurs immenses propriétés et leurs jets privés, mais de l’argent qui lui permettait d’avoir une maison et une voiture, de pouvoir acheter des bottes d’hiver et des cadeaux de Noël à ses enfants, de pouvoir nous emmener en vacances en Gaspésie à chaque été, et de coucher dans un motel à Rivière-du-Loup, de nous acheter des toboggans, des vélos et des patins pour nous amuser, et des crayons, des livres et des cahiers pour apprendre à lire et à écrire.

 

On peut dire en regardant en arrière que c’était l’odeur des forêts dévastées par la coupe à blanc, des cours d’eau pollués, des ouvriers exploités par des propriétaires qui ne pensaient qu’à leur profit, des richissimes industriels qui achetaient et contrôlaient nos politiciens véreux et corrompus.

 

Pour mon père cette odeur d’œufs pourris symbolisait la possibilité de vivre en français le rêve américain dans un confort et une liberté que ses ancêtres, pendant des milliers d’années, n’avaient jamais connus. La vie n’était pas facile pour autant. En plus du bruit et de la pollution, mon père travaillait en alternance une semaine de jour, une semaine de nuit et une semaine de soirée; et il avait souvent ses jours de congés au milieu de la semaine.

 

Mais à la même époque, dans des contrées éloignées où il y avait aussi des forêts dévastés et des cours d’eau pollués, d’autres ouvriers travaillaient dans des conditions encore plus difficiles, mais sans confort et sans liberté, et sans espoir que leur sort allait un jour s’améliorer. Tout est relatif.

 

 

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10/01/2018
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