Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

La Bible

J’ai lu quatre fois la Bible, trois fois en français et une fois en anglais, il y a de cela entre 40 et 45 ans, à l’époque où je croyais encore qu’elle était presque littéralement la parole de Dieu. J’ai décidé de profiter de la période de confinement pour la relire dans un état d’esprit différent. J’ai choisi la version King James parce qu’on dit qu’elle est très belle et très poétique. Leonard Cohen a affirmé qu’elle avait toujours été pour lui une importante source d’inspiration pour ses poèmes et ses chansons. Au début, j’étais un peu rebuté par les vieux mots anglais et les structures de phrases inhabituelles mais on s’habitue assez vite…et il faut dire que je connaissais déjà le contenu.

 

Je me suis vite rendu compte qu’il y a effectivement quelque chose de très beau dans cette version de la Bible. Le style est à la fois très simple et solennel, et il y a un rythme dans les phrases qui fait que c’est apaisant et agréable à lire. Dans le premier livre, la Genèse, j’ai relu des histoires que j’avais maintes fois entendues et lues : la création, le paradis terrestre, la faute, Adam et Ève chassés du paradis, Caïn et Abel, Noé et le déluge, Abraham, Ésaü et Jacob, etc. Je me suis dit que c’était un récit mythologique bien raconté mais comme on en retrouve probablement dans plusieurs autres cultures et traditions religieuses.

 

Arrivé au deuxième livre, l’Exode, j’ai eu un choc. Je me souvenais de l’histoire de Moïse et du Pharaon mais j’avais oublié, ou je n’y avais pas prêté attention, un détail important. Avant d’envoyer Moïse dire au Pharaon de laisser le peuple hébreu partir d’Égypte, Dieu dit à Moïse qu’il allait endurcir son cœur pour qu’il refuse. Étant donné que son cœur avait au préalable déjà été endurci par Dieu, le Pharaon ne pouvait pas faire autrement que de refuser. Il s’en est suivi toute une série de choses horribles qu’on appelle communément les plaies d’Égypte : l’eau qui se change en sang, les sauterelles, la famine, etc. Après tout cela, ou aurait pu croire que le Pharaon allait laisser partir au plus vite les Hébreux. Mais non, Dieu a endurci encore un peu plus son cœur pour qu’il refuse de nouveau. C’est à ce moment-là qu’arrive la dernière plaie : les premiers-nés de toutes les familles égyptiennes, y compris les esclaves et les animaux, sont tués par des anges pendant la nuit. Il y a ensuite la traversée de la mer rouge séparée en deux par Dieu pour laisser passer les Hébreux avant de se refermer pour engloutir l’armée du Pharaon qui les poursuivait.

 

Même si elle a été inventée, il y a deux choses qui sont pour moi profondément troublantes dans cette histoire qui fait partie d’un livre qui est considéré par plusieurs comme étant littéralement la parole de Dieu. La première concerne le libre arbitre. Lorsqu’on demande aux croyants pourquoi Dieu n’intervient pas pour empêcher les humains de faire le mal, on nous répond généralement que c’est pour respecter leur libre arbitre en les laissant libres de décider eux-mêmes s’ils veulent faire le bien ou le mal. Dans le cas du Pharaon, on se rend compte en lisant le texte biblique que son libre arbitre, sa volonté de décider lui-même de faire le bien ou de commettre le mal, lui avait été enlevée dès le départ. Avant même sa première confrontation avec Moïse, il n’était plus maître de son cœur et de ses pensées.

 

Après avoir lu cette histoire, je me suis dit que si Dieu pouvait décider d’endurcir le cœur de quelqu’un sans lui demander son avis, il aurait pu, dans d’autres circonstances, et sans leur demander leur avis, ramollir le cœur de certains autres pour les empêcher de commettre des atrocités. Et il m’est venu à l’esprit l’histoire, bien réelle celle-là, de cette fillette de six ans à qui un trafiquant de drogue mexicain a coupé les bras et les jambes sous les yeux de ses parents pour les punir de lui voir volé de la drogue ou de l’argent. Il a fait ensuite subir le même sort aux parents. Ce qui est encore plus troublant, c’est que le gars avait lui aussi des enfants. Et des cas comme celui-là, il y en a des millions dans l’histoire de l’humanité.

 

L’autre chose qui me trouble et me déconcerte dans ce récit biblique est que la décision du Pharaon, qui n’en était pas vraiment une puisqu’il a été forcé de la prendre, a eu des conséquences terribles pour des innocents qui n’avaient rien à voir dans cette histoire. C’est le peuple égyptien dans son ensemble, y compris les esclaves, dont le sort n’était pas meilleur que celui des Hébreux, qui a souffert le plus. Imaginez des parents qui découvrent que le premier-né de leurs enfants a été tué au cours de la nuit. Dans ce récit, pour Dieu comme pour le pharaon, les individus n’avaient aucune valeur et aucune importance. Ils n’étaient que des accessoires et des dommages collatéraux. Vous allez me dire « Mais c’est la même chose aujourd’hui et ça l’a toujours été. » Vous avez en partie, mais pas totalement, raison. 

 

Je crois que les auteurs des premiers livres de la Bible, quand ils ont voulu personnifier un Dieu tout-puissant, ont décidé d’utiliser comme modèles les despotes qui dominaient le monde de leur époque et qui jouissaient d'un pouvoir absolu. On parle de rendre gloire, chanter les louanges, du seigneur des armées, etc. Ces despotes cruels et vaniteux étaient toujours entourés de serviteurs dont le seul rôle était de chanter leurs louanges du matin jusqu’au soir. Dans le troisième verset du 15e chapitre de l’Exode, il est écrit dans la version King James de la Bible : « The Lord is a man of war. » Encore là, il s’agit d’une façon habile de décrire Dieu quand on a l’intention, comme on le fait encore aujourd’hui, de se servir de lui à des fins opportunistes et politiques.

 

C’est là où j’en suis rendu dans ma relecture de la Bible. Je vais finir de lire l’Exode. Je sais qu’il y aura la longue marche dans le désert, les commandements de Dieu sur le mont Sinaï, la révolte des Hébreux et le veau d’or. Je ne sais pas si le confinement durera assez longtemps pour que j’aie le temps de la relire au complet ou si j’aurai encore le goût de poursuivre ma lecture de la Bible quand le confinement sera terminé.

 

Pour ceux et celles qui croient que la Bible est littéralement la parole de Dieu, ce que j’ai écrit apparaîtra comme quelque chose de blasphématoire. Pour les autres, comme moi et beaucoup d’autres, la Bible est le récit d’une longue et difficile marche entreprise il y a très longtemps par des hommes et des femmes pas tellement différents de nous pour découvrir Dieu et s’approcher de la vérité. Pour moi, les intuitions qui sont à la base de la Bible et d’autres textes religieux proviennent de la même source d’eau vive qui n’a pas fini de couler. Elle continue à couler lentement et discrètement au fond de nos cœurs. On l’appelle quelquefois notre conscience.  

 

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30/04/2020
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