Il reste toujours la poésie
Quand tous les systèmes, toutes les doctrines, toutes les habiles constructions de l’esprit pour nous expliquer le monde et l'univers, la vie et la mort se sont un à un effondrés et nous ont laissés seuls, amers et déçus, au milieu du silence de ces espaces infinis qui nous effraient, quand nos amis, que nous avions de si près tenus, sont clairsemés comme les cheveux sur mon crâne dégarni et que le vent les a à tout jamais emportés, quand on sait qu’on ne reverra plus des personnes qui ont eu tellement d’importance dans nos vies, quand on a passé l’âge de l’action et des projets et qu’on n’a plus que des souvenirs et des regrets, il reste toujours la poésie.
La poésie des aubes fleuries de Martine dans la fraîcheur de la rosée, celle de Rimbaud par les soirs bleus d’été avec le vent lui caressant la tête nue, la poésie de Lamartine dans la nuit éternelle emportée sans retour, suppliant le temps de suspendre son vol, et celle des sanglots longs des sanglots longs des violons de l’automne de Verlaine qui berçait son cœur d’une langueur monotone.
La poésie d’une chanson de Vigneault qui nous parle des ruisseaux qui dans le secret des bois deviennent des rivières et de la mémoire des fleurs qui dort sous son toit de glace au fond de l’étang gelé, la poésie des chansons d’amour qui ont bercé notre jeunesse et de celles qui, dans toutes les langues, même si nous n’en comprenions pas les paroles, nous ont accompagnés tout au long de nos vies et nous ont fait vibrer à une sensibilité à la fois semblable et différente de la nôtre.
La poésie de la nature quand le soir descend et qu’on glisse doucement sur la rivière en kayak en admirant les couleurs de l’eau et du ciel qui se mêlent, quand les flocons de neige tombent lentement sur la forêt et que c’est comme si le temps s’était arrêté pour regarder la neige tomber, la poésie des odeurs de printemps et des couleurs des feuilles en automne.
La poésie qu’il y a dans les tableaux de ma cousine Marie et dans les photos de mon cousin Jacques, celles qu’il y a dans les textes de mon ami André et dans les pièces de théâtre qu’a écrites mon beau-frère Pierre et dans la façon dont ma soeur Louise a incarné certains des personnages.
Il y a beaucoup de poésie dans les romans, et par extension le cinéma, qui nous font découvrir et comprendre tant de choses, qui nous donnent des yeux pour voir ce qu'on ne verrait pas autrement et une intelligence pour comprrendre ce qui resterait pour nous des énygmes et des mystères. En nous faisant pénétrer dans l'intimité de personnages qui nous révèlent leur histoire et leur destin, ils nous donnent une meilleure compréhension du monde qui nous entoure et une vision plus claire de notre propre histoire et de notre propre destin.
Et il y a, bien sûr, la poésie de la musique, avec toutes sortes de rythmes et de couleurs, qui nous transporte dans des univers merveilleux et qui nous fait explorer des régions de notre âme dont nous n’aurions pas pu découvrir par nous-même l’existence.
Il ne faudrait pas oublier toute la belle et grandiose poésie que l'on retrouve dans les textes religieux que les doctrinaires ont transformé en codes rigides pour enfermer les coeurs et les esprits comme des oiseaux dans des cages, et que les fanatiques utilisent pour condamner et persécuter ceux et celles qui ne partagent pas leur interprétation littérale de textes qui se voulaient avant tout une source d'inspiration et de réflexion plutôt que des instruments d'exploitation, d'exclusion et d'oppression.
Avant de l’écrire, j’ai donné comme titre à ce texte « Il reste toujours la poésie » comme si la poésie n’était qu’une mince consolation pour compenser l’essentiel que nous avons perdu. Maintenant que j’ai fini de l’écrire, je me rends compte que c’est cela qui est l’essentiel et que c'est tout le reste qui est accessoire.
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