Intérêts et opinions
Il arrive quelquefois que nos opinions coïncident parfaitement avec nos intérêts. Exemple : Vous vendez des pneus. On vous demande si vous êtes d’accord pour que les pneus d’hiver soient obligatoires. D’une part, vous savez que ceci est avantageux pour vous d’un point de vue financier. D’autre part, vous êtes persuadé que cette mesure contribue à éviter les accidents. C’est donc l’harmonie parfaite entre vos intérêts et vos convictions. Vous vendez plus de pneus, faites plus d’argent, et le nombre d’accidents diminue sur nos route en hiver.
Dans la plupart des cas, les choses ne sont pas aussi claires. La plupart du temps, nous sommes tiraillés entre nos intérêts et nos opinions. Exemple : Vous êtes professeur au Québec. Votre syndicat vous demande de lui donner un mandat de grève parce que le gouvernement veut geler votre salaire et augmenter le nombre d’élèves dans les classes. Vous êtes d’accord pour faire la grève dans l’intérêt de vos élèves, bien sûr, mais aussi parce que vous voulez maintenir votre niveau de vie et votre pouvoir d’achat. Là encore, il n'y a pas de conflit entre vos intérêts et ce que croyez. Là où le bât blesse, c’est que vous êtes aussi souverainiste. Vous vous souvenez que René Lévesque avait diminué de 20% les salaires des employés de l’État quand il était au pouvoir parce qu'il ne voulait pas faire l'indépendance à crédit, et vous savez que la souveraineté pourrait avoir des conséquences encore plus désastreuses sur votre situation financière.
Vous n’êtes pas assez naïf pour croire que la souveraineté résoudrait tous les problèmes du Québec : dénatalité, vieillissement de la population, fermeture des marchés américains, mondialisation de la culture. Vous savez très bien que dans le contexte actuel il serait très difficile de négocier des ententes commerciales avantageuses pour le Québec avec le Canada, les États-Unis et l’union Européenne. Vous êtes conscient que vos opinions politiques vont à l’encontre de vos intérêts mais vous ne voulez pas vous l’avouer. Qu’est-ce que vous faites ? Vous ménagez le chou et la chèvre. Vous continuez à vous afficher comme souverainiste, pour la forme, tout en espérant que vous finirez votre vie dans la quiétude et la prospérité.
Une autre façon de concilier ses intérêts et ses opinions est de déformer la réalité. Exemple : Votre avez été élu pour défendre les intérêts d’une partie de la population dont les emplois sont dans un secteur qui contribue au réchauffement de la planète. Qu’est-ce que vous faites ? Vous niez tout simplement que ces activités ont une quelconque influence sur l’environnement et vous trouvez des pseudo-scientifiques qui sont prêts à vous appuyer.
Le conflit entre les intérêts et les convictions est à l’origine d’énormes contradictions et d’hypocrisie sans limite. Des politiciens qui oscillent entre pro-vie et pro-choix dépendant du résultat des sondages. D’autres, aux États-Unis, qui disent être favorables à la peine de mort même s’ils ne le sont pas vraiment pour plaire à leurs électeurs qui veulent être représentés par des élus tough on crime. Encore aux États-Unis, des politiciens qui invoquent le second amendement pour défendre les intérêts des fabricants d’armes à feu responsables de milliers de victimes chaque année dans leur pays.
Pendant la Guerre Civile en Espagne, l’écrivain français George Bernanos a écrit ceci dans un pamphlet intitulé Les grands cimetières sous la lune pour dénoncer le régime de Franco : « Devenir la bête noire des pauvres et des hommes libres avec un programme comme l’Évangile, il y a de quoi rigoler. » On trouve encore aujourd’hui des bien-pensants qui réussissent à concilier leurs intérêts avec les enseignements de leur religion. La droite religieuse et les chrétiens évangéliques appuient des politiques qui contribuent à accroître le fossé grandissant entre les riches et les pauvres, des politiques qui ne font aucune place à la réhabilitation et au pardon pour les criminels et qui appuient sans réserve la peine de mort, des politiques qui bannissent toutes mesures de solidarité sociale comme l’assurance-maladie universelle sous prétexte que de tels programmes sont trop socialistes dans un pays chrétien. Il faut préciser que les intérêts qui sont en jeu ne sont pas ceux de ces gens souvent sincères mais naïfs mais de ceux qui les manipulent. Des riches et des puissants ont réussi le tour de force de faire défendre leurs privilèges et leurs intérêts par ceux qu’ils exploitent et qu’ils méprisent.
Il n’y a rien de mal à défendre ses intérêts. Il faut juste être conscient de la part d’intérêt qui entre dans nos opinions pour ne pas se raconter d’histoires à nous-mêmes et aux autres. Quelquefois, on devrait pouvoir dire : « J’ai trop d’intérêts personnels par rapport à ceci ou à cela pour avoir une véritable opinion. » Ça éliminerait une grande partie de la bullshit qui a pour but de faire passer nos intérêts pour des opinions et des convictions.
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