Intérêts et passions
C’était en Gaspésie. J’étais adolescent. En sortant d’un établissement qui en plus d’être un restaurant était aussi une tabagie et une librairie, au moment de passer à la caisse, je m’arrête devant un présentoir de livres parmi lesquels il y en a un sur le yoga. Je ne sais pas pourquoi mais je l’achète. Le livre parle des origines et des bienfaits du yoga, et décrit quelques postures et le déroulement d’une séance. Un an plus tard, probablement à cause de l’influence qu’avait eue sur moi la lecture de ce livre, je m’inscris à des cours de yoga. Cinquante ans plus tard, je fais encore régulièrement du yoga. Ça fait partie de ma vie.
Il y a plusieurs années, un ami qui savait que j’aimais beaucoup faire du ski de fond me suggère de me joindre à un club dans lequel les membres s’entraînaient pour augmenter leurs performances et possiblement participer à des compétitions. L’idée ne me serait pas venue de moi-même de me joindre à un tel groupe parce que je me considérais nul dans les sports. Non seulement ma décision de suivre le conseil de mon ami et de me joindre au club m’a permis d’améliorer ma forme physique et mes techniques, mais je me suis fait de nombreux amis, et j’ai vécu des expériences extraordinaires et inoubliables. Ça aussi, c’est un intérêt que j’ai développé un peu par hasard et qui fait encore partie de ma vie.
Et il y a eu aussi la danse. L’idée nous est venue, à ma copine et à moi, de nous inscrire à des cours en feuilletant le répertoire des activités offertes pour les loisirs par la municipalité de Gatineau. On s’est dit que ce serait une façon agréable de passer le temps. Nous avons commencé par la danse sociale et avons aussi appris quelques autres types de danse. Je n’étais pas vraiment doué mais j’ai persévéré malgré tout. J’avais beaucoup de difficulté à suivre la musique et à conduire ma partenaire. Un jour, après un cours de swing, notre instructeur m’a dit que je m’étais amélioré de 100%. C’est à ce moment-là que j’ai su que j’étais devenu un véritable danseur. Ma relation avec ma copine n’a pas duré mais j’ai continué à danser et à prendre des cours. Et je peux dire que sans la danse, je n’aurais jamais rencontré Maria. Nous cherchions tous les deux un partenaire de danse. Nous nous sommes rencontrés par hasard dans un cours de danse latine il y a plus de vingt ans et nous sommes devenus partenaires pour la vie. Nous avons dansé à Cuba, sur des bateaux de croisières, dans des clubs, seuls dans la maison ou avec des amis, sous les étoiles, à notre chalet.
Ça fait drôle de penser que sans cet intérêt que j'ai développé sans vraiment l'avoir planifié, je ne serais sûrement pas avec la personne avec qui je suis aujourd’hui. Ça fait drôle de penser à ça parce que, d’une part, je me dis que nous étions faits pour nous rencontrer, elle qui est née à Saigon et moi en Gaspésie, que ça faisait partie de notre destinée, et que je ne peux pas concevoir que notre rencontre fortuite dans un cours de danse latine un soir de février 1998 aurait pu ne pas se produire. D’autre part, je me dis aussi que le fait d’avoir décidé de commercer à danser me semble tellement être le fruit du hasard que nous aurions pu tout aussi bien ne jamais nous rencontrer. Est-ce que ce qui arrive de plus important dans nos vies dépend plus du hasard ou du destin ?
Peu importe comment ils nous viennent, par hasard ou après y avoir longuement réfléchi, les intérêts que nous choisissons de développer sont déterminants dans notre développement personnel et pour ce qui nous arrivera dans la suite. Les personnes et les endroits que nous allons fréquenter, les opinions et les idées que nous allons entendre, que nous allons faire nôtres et que nous allons partager, les expériences que nous allons vivre et avec qui nous allons les vivre, et jusqu’à un certain point les valeurs que nous allons acquérir et transmettre, tout cela est intimement lié à nos intérêts et aux activités et aux personnes qui s’y rattachent.
Qu’en est-il des passions ? Est-ce qu’il y a une différence entre les intérêts et les passions ? Je crois que oui et je ne crois pas que ce soit seulement une question d’intensité. J’ai cru pendant quelques années avoir une passion pour le ski de fond parce que je pensais constamment à ça et que j’en parlais à tout le monde que je rencontrais, même au mois de juillet quand il faisait 320C à l’ombre. Je me rends compte maintenant que ce n’était qu’un intérêt qui avait pendant un certain temps tourné à l’obsession. Une passion, c’est beaucoup plus profond. C’est quelque chose d’inné. Pour moi, une passion c’est un intérêt qui se manifeste généralement à un très jeune âge, très souvent combiné à un talent ou une aptitude exceptionnelle, et qu’on garde pendant toute sa vie. Peut-on imaginer Proust qui n’aurait jamais rien écrit ou Mozart qui ne se serait jamais intéressé à la musique ? C’est la même chose pour Guy Lafleur que j’ai connu lorsque j’étais à l’école élémentaire à Thurso ; il n’aurait pas pu devenir autre chose qu’un joueur de hockey professionnel.
Est-ce à dire que lorsqu’on a un talent ou des aptitudes exceptionnelles dans un domaine, on a nécessairement une passion ? Pas nécessairement. Je me souviens d’un gars qui s’appelait Benoît. Il avait une capacité respiratoire et une endurance hors du commun qui auraient pu faire de lui un champion de ski de fond. Contrairement à son frère Charles qui obtenait comme moi des résultats plutôt modestes en s'entraînant régulièrement, et qui se démenait comme un diable dans l’eau bénite pour améliorer sa forme physique et ses performances, Benoît ne s’entraînait pas. Il se pointait de temps en temps pour une course et il gagnait. Je me souviens qu'un année il s'était inscrit quelques jours avant l'épreuve à une course de 35 km et qu'il avait fini deuxième. Il avait battu sans même s'entraîner des Scandinaves immenses et très motivés qui étaient venus ici pour gagner. Si Benoît avait une passion, c’était l’histoire. Pour lui, malgré son potentiel énorme, le ski de fond n'était qu’un intérêt parmi d’autres.
Et il y a tous ceux pour qui la richesse, les privilèges et la gloire que leur apportent leur génie, leurs aptitudes ou leur talent sont beaucoup plus importants que l’objet de leur passion. Ceux-là sont au service de leurs passions, dans le sens le plus vil du terme, beaucoup plus que d’une passion.
Et moi, est-ce que je regrette de n’avoir eu que des intérêts, quelquefois passagers pour comme les arts martiaux, au lieu d’être habité par une grande passion qui aurait été toujours au centre de ma vie ? Je ne sais pas. C’est difficile pour moi de comparer. Une chose que je sais, c’est que le mot passion vient d’un mot latin qui veut dire souffrance. Les être passionnées doivent être prêts à se plier à une discipline rigoureuse et très souvent à souffrir beaucoup pour rester fidèles et aller jusqu’au bout de leurs passions. Avoir une véritable passion est quelque chose de très exigeant.
Mes intérêts, ceux qui sont venus et qui sont repartis, de même que ceux qui sont venus pour s’installer et rester, m’ont apporté et continuent de m’apporter un équilibre et un petit bonheur tranquille sans me demander trop de souffrance et de sacrifices. Ces intérêts sont arrivés par vagues successives pour irriguer ma vie pendant un certain temps ou pour longtemps. Le dernier venu est celui qui me motive à écrire des petits articles comme celui-ci que je partage avec vous dans mon blogue, et que vous êtes présentement en train de finir de lire. Ce n’est pas une passion parce que si c’en était une j’aurais commencé à écrire il y a bien longtemps et j'aurais écrit beaucoup plus. C’est tout simplement un intérêt qui a attendu le bon moment pour se manifester et qui est venu lui aussi un peu par hasard. Si mon ami André ne m'avait pas suggéré de le faire, je n'aurais probablement jamais commencé à écrire.
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