Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

De la relativité de la gauche et de la droite

Je me souviens que lorsque j’étais enfant dans le Québec très conservateur des années 1950, on venait examiner la vue des enfants dans les écoles. C’est comme ça que j’ai commencé à porter des lunettes quand je n’avais que six ans. On distribuait aussi des gélules d’huile de foie de morue gratuitement aux élèves dans les écoles primaires. Il fallait les avaler tout rond, sans les croquer, pour ne pas leur laisser le temps de fondre dans la bouche parce que le goût était affreux. Je me souviens aussi que ma mère m’a raconté qu’à la même époque, une femme qui venait de Pellegrin, une colonie à l’intérieur des terres, était venue à l’hôpital de Chandler, alors dirigée par les Sœurs de la Providence, pour se faire soigner. Étant donné qu’elle n’avait pas d’argent et pas d’assurance privée, elle n’a pas été admise. Elle est retournée chez elle où elle est morte quelques jours plus tard. Ma mère était scandalisée, mais elle a ajouté que c’était un cas isolé qui ne devrait nous faire oublier tout le bon travail qui a été fait par les communautés religieuses à cette époque.

 

Dans ce temps-là, contrairement aux Européens, on ne parlait jamais de gauche et de droite. Il y avait à Ottawa les libéraux (les rouges) et les conservateurs (les bleus) ; et à Québec, il y avait l’Union nationale (les bleus) et les libéraux (les rouges). Ça ne pas dire que la gauche et la droite n’existaient pas mais on en parlait d’une autre façon. C’est seulement quand des intellectuels qui étaient allés en Europe ont décidé de se lancer en politique, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, qu’on a commencé à parler de gauche et de droite.

 

Après que les communistes ont pris le pouvoir au Vietnam, ils ont tenté de mettre en place, pour le meilleur et le pire, les structures et les pratiques qui existaient dans les autres pays communistes. Pour le meilleur : ils ont ouvert des cliniques gratuites pour les soins dentaires. Ç’a tombé à l’eau au bout de quelques années. Pour le pire : dans le but de mieux contrôler la population, ils ont voulu créer des comités de surveillance de quartier.[1] Ça non plus, ça n’a pas marché. Aujourd’hui, dans ce pays communiste, il n’y a pas de filet social : pas de régime de retraite, pas d’assurance emploi et rien pour venir en aide aux personnes âgées et handicapées. Et étant donné qu’il n’y a pas d’impôts sur les particuliers, les services offerts par le gouvernement sont très rares, et il faut souvent donner des pots-de-vin aux fonctionnaires qui sont mal payés pour les obtenir. Comme dans le Québec d’avant la Révolution tranquille, ce sont les organismes religieux, catholiques et bouddhistes, qui s’occupent des personnes dans le besoin.

 

Au Vietnam, peu importe que les hôpitaux soient privés ou publics, si vous n’avez pas d’assurance ou d’argent pour payer, vous n’êtes pas soignés. Les hôpitaux vietnamiens font beaucoup de chirurgie esthétique parce que ça rapporte gros. On grossit les seins et on arrondit les culs ; on injecte du botox pour faire disparaître les rides ; on change l’apparence des nez et on retouche les paupières pour donner aux jeunes femmes qui en ont les moyens une physionomie plus occidentale. Les clients très sont souvent des Viet kieu (des Vietnamiens qui vivent maintenant à l’étranger) mais aussi, et de plus en plus, des Vietnamiens qui sont devenus riches grâce au libre marché.[2] Au Vietnam, l’écart entre les plus riches et les plus pauvres est plus élevé qu’au Japon qui est un pays capitaliste ; et l’écart entre les plus riches et les plus pauvres y est plus élevé qu’au Canada mais moins qu’aux États-Unis.

 

Quand on compare le Canada et les États-Unis, on se rend compte que les notions de gauche et droite n’ont pas le même sens dans les deux pays. Au Canada, si l’on regarde le salaire minimum, on peut voir qu’il n’y a pas tellement de différences entre les provinces dirigées par des gouvernements un peu plus à gauche et d'autres un peu plus à droite.

 

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Et même si la droite souhaiterait que l’on accorde une plus grande place au secteur privé dans notre système de santé - comme en France ou en Suisse - personne, sauf peut-ête le nouveau chef du parti conservateur si son parti est élu aux prochaines élections, ne suggère de le démanteler complètement. Il faut dire que depuis l'occupation du centre-ville d'Ottawa par le Convoi de la liberté l'hiver dernier, le paysage politique canadien a changé...et pas pour le mieux.

 

Aux États-Unis, le salaire minimum dans la plupart des états contrôlés par les républicains est de 7,25 $ l’heure. Imaginez vivre avec moins de 400 $ par semaine avant impôts ! Pour ce qui est des soins de santé, une des premières mesures prises par les républicains quand ils sont arrivés au pouvoir avec Trump en 2016, après avoir diminué les impôts payés par les plus riches, a été de vouloir démanteler ce que les Américains appellent couramment Obama care, un programme qui avait pour but de donner la possibilité à tous, y compris les plus pauvres, de bénéficier d’une assurance maladie. Ce programme avait aussi pour but d’empêcher les compagnies d’assurance de refuser de couvrir les personnes qui ont déjà des problèmes de santé.

 

Qu’est-ce qui fait la différence entre le Canada et les États-Unis ? Je ne suis pas un historien ou un sociologue, mais je crois que la plus grande différence réside dans les valeurs communes qui sont à la base de nos sociétés et dans la façon dont la religion a traditionnellement été interprétée et vécue dans les deux pays. Au Canada, les religions anglicane, catholique et presbytérienne, même si elles sont historiquement associées à la droite, ont toujours été plutôt modérées et ont laissé à ce qu’on appelle maintenant la gauche la possibilité d’exister et de jouer un rôle. Dans l’Église catholique, par exemple, il y a toujours eu deux courants : l’Église de la hiérarchie alliée avec les pouvoirs politiques et l’Église des pauvres, celle de Saint-François d’Assise et de la théologie de la libération en Amérique latine dans les années 1970 et 1980.

 

Aux États-Unis, les chrétiens évangéliques exercent une influence énorme sur la politique mais ça n'a pas toujours été le cas. C’est beaucoup grâce à eux que Trump a été élu en 2016. Plusieurs chrétiens évangéliques croient en l’évangile de la prospérité : Dieu rend riche ceux qui lui sont fidèles. Ils semblent avoir oublié ce qu’a dit Jésus : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent. » Les chrétiens évangéliques croient aussi que le gouvernement ne devrait intervenir que pour punir les criminels et protéger les frontières. Ils croient en la libre entreprise et à la liberté individuelle sans limites et sans responsabilités sociales. Ils croient qu’un jeune de 18 ans devrait avoir le droit de posséder une arme à feu capable de faire des dizaines de victimes en moins de temps que ça ne prend pour réchauffer un muffin dans un four à micro-ondes.

 

Au Brésil, un chrétien évangélique, Jair Bolsonaro, a été président jusqu’à sa défaite le 30 octobre dernier. Sous sa présidence, les homosexuels ont été persécutés, des millions d’hectares de la forêt amazonienne - que plusieurs scientifiques considèrent comme le poumon de la planète - ont été rasés et leurs habitants dispersés ou massacrés. Pour décourager les habitants de son pays de recevoir le vaccin contre la covid, Bolsonaro leur a dit que ceux et celles qui allaient le recevoir seraient transformés en crocodiles…et plusieurs l’ont cru.

 

Pour conclure, je vous dirais que moi, personnellement, je n’ai jamais aimé cette distinction entre la gauche et la droite. Ça m’a toujours un peu agacé. C’est un moyen facile de rejeter ou d’accepter en bloc des choses qui devraient être considérées et évaluées individuellement, à la lumière de notre conscience et de nos valeurs. C’est comme si l’on vous obligeait de choisir constamment entre Hitler et Staline, et que l’on vous disait : « Si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi. » Il y a des choses qui sont moralement acceptables et d’autres qui ne le sont pas, peu importe qu’elles viennent de ce qu’il est convenu d’appeler dans le pays où l’on se trouve la gauche et la droite. Et il y a, au-delà des mots, des choses qui sont relatives et d'autres qui ne le sont pas.

 

 

 

 



[1] J’ai un ami qui a vécu en Roumanie à l’époque de Ceausescu. Il m’a dit qu’une des choses qu’il trouvait le plus pénible de vivre dans ce régime communiste était ces comités de surveillance parce que tout le monde avait peur de tout le monde et qu’on ne pouvait faire confiance à personne.

 

[2] Maria a une amie qui vient de revenir d’un voyage au Vietnam.  Pour 7 000 $ US, on lui a remonté les seins et on lui a pris un peu de gras autour de la taille pour lui injecter dans le visage.



13/11/2022
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