Culture et technologie
Première partie : la radio
La technologie a grandement contribué au développement, à la consolidation et à la préservation de notre culture. Ii y a eu tout d’abord la radio. Je me souviens que chez mes grands-parents, en Gaspésie, il y avait un appareil radio qui ressemblait un peu à ceci.
Au-dessus, il y avait la tabatière de mon grand-père et un petit coffre en cèdre avec sur le couvert un médaillon avec l’image d’un voilier. Le coffre tombe en morceaux mais je le garde précieusement en souvenir. Pendant la Guerre, toute la famille se regroupait autour de la radio pour écouter les nouvelles du front. Mon oncle Vic a participé au débarquement en Normandie, et c’est probablement grâce à la radio qu’on a appris que le débarquement avait eu lieu. C’est probablement aussi la radio qui a annoncé la fin de la Guerre.
Quand j’étais enfant, chez mes grands-parents, tout le monde écoutait religieusement Un Homme et son péché avec Hector Charland dans le rôle de Séraphin et Estelle Maufette dans celui de Donalda. L’émission a été diffusée entre 1939 et 1962. En voici un extrait :
https://www.youtube.com/watch?v=dITH2gfu8yU
Il y avait aussi Le chapelet en famille avec l’évêque de Gaspé qui récitait d’une voix forte et claire « Je vous salue Marie pleine de grâce…. » et les bonnes sœurs qui répondaient en marmonnant « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pécheurs… »
Au début de l’après-midi, il y avait Les Joyeux troubadour avec des chansons et des blagues. C’était juste après : « Voici le signal horaire officiel du Conseil national de recherche du Canada. Au début du trait prolongé, il sera exactement midi. » On savait que ça commençait quand on entendait la chanson :
https://www.youtube.com/watch?v=Wa-4YrCNPqo
À la radio, il y avait aussi les nouvelles, des entrevues et les prévisions de la météo.
Plus tard, à l’adolescence, on écoutait la radio pour les chansons. On attendait avec impatience qu’ils fassent jouer notre chanson préférée sur notre radio transistor. On écoutait des chansons en français d’ici et de France, et les grands succès britanniques et américains étaient souvent traduits en français. En 1964, Tony Roman chantait la version française de Doo Wah Di, et c’est celle-là qu’on écoutait. Je ne me souviens pas d’avoir entendu la version originale en anglais de cette chanson.
https://www.youtube.com/watch?v=6VTjaSQ1S58
C’est aussi à la radio que nous avons découvert nos chansonniers et les chanteurs français. C’est ce qui nous a motivés à acheter des albums que nous écoutions sur des tourne-disques. Presque tous les albums que nous écoutions, mes sœurs et moi, étaient en français : Gilles Vigneault, Gilbert Bécaud, Léo Ferré, Claude Léveillée, Georges Moustaki, Françoise Hardy, Félix Leclerc, Nana Mouskouri, etc. Avant ça, au début de l’adolescence, il y avait eu les chanteurs de charme comme Pierre Lalonde et Donald Lautrec.
Plus tard, il y aura les tribunes téléphoniques et les radios poubelles. Je ne suis pas très bien placé pour parler de ce phénomène parce que je n’ai jamais écouté les stations qui diffusent ce genre d’émissions. Tout ce que je sais, c’est que ça véhicule beaucoup de frustrations, d’exagérations, d’intolérance et de haine.
La radio a été pendant longtemps le principal lien entre les francophones d’un bout à l’autre de la province et même du pays. Aujourd’hui, on a tendance à considérer la radio comme quelque chose qui ne fait pas partie de la technologie parce qu’elle était là avant qu’on arrive. Mais si l’on s’arrête pour y penser, on doit admettre que la radio est un outil technologique qui nous a rassemblés et qui nous a aidés, pas seulement à communiquer et à nous exprimer, mais aussi à nous définir et à façonner notre identité collective.
Deuxième partie : la télévision
Encore plus que la radio, la télévision a joué un rôle très important dans l’affirmation et l’évolution de notre société et de notre culture.
Il y a eu bien sûr la série Les Belles histoires des Pays d’en Haut qui était le prolongement de l’émission radiophonique et qui a connu un succès immense.
Mais quand on considère les séries et les comédies qui se sont succédées les unes après les autres comme Quelle famille, Le Survenant, La famille Plouffe, Rue des Pignons, Cré Basile, Moi et l’autre, Symphorien, Le temps d’une paix, La p’tite vie, Un gars et une fille, pour n’en nommer que quelques-unes, on peut suivre l’évolution de notre société dans sa façon d’être, de penser et de parler. Voici un épisode de La famille Plouffe diffusé le 2 mai 1956 :
https://www.youtube.com/watch?v=MVwoJGMtQ4Y
Et voici un extrait de District 31 en 2020 :
https://www.youtube.com/watch?v=-AbrPT32Puc
La télévision francophone au Canada est très variée et très riche :
Il y a eu toutes les émissions pour enfants comme Bobino, La Boîte à surprises, Passe-Partout, etc. qui ont donné aux francophones, à partir d’un très jeune âge, une identité commune ;
Il y a eu des émissions comme La vie qui bat, et maintenant Découverte, pour nous parler de la nature et de la science ;
Il y a eu Second regard, cette émission unique en son genre dont je n’ai trouvé nulle part ailleurs le pendant, qui traitait objectivement d’actualité religieuse sans dénigrer et sans faire la promotion d’une religion en particulier ;
Il y a eu les émissions culturelles et de variété comme Les Couche-tard et Appelez-moi Lise dans lesquelles on parlait d’actualité et de politique. Maintenant, il y a Tout le monde en parle ;
Il y a eu Point de mire avec René Lévesque qui parlait de politique et de différents enjeux sociaux. Voici un extrait de cette émission qui date de 1962 dans lequel Lévesque parlait de la nationalisation de l’électricité :
https://www.youtube.com/watch?v=jKmwGQ4-zKQ
Il y a eu par la suite plein d’autres émissions du même genre dans lesquelles on discutait et on débattait de politique et de plein d’autres sujets connexes qui ont transformé notre société de différentes façons.
La télévision francophone au Canada, et plus particulièrement au Québec, n’a pas fait que refléter les valeurs et les tendances de notre société ; elle a souvent été le moteur des changements qui l’ont transformée et qui lui ont permis d’évoluer.
Avec la presse écrite, la télévision est la gardienne de nos institutions démocratique. On peut penser à des émissions comme Enjeux et Enquête. Voici un épisode d’Enquête qui parle d’un scandale à la FTQ en 2009 :
https://www.youtube.com/watch?v=atDnHOMh4DQ
Pendant plusieurs décennies, tout le monde regardait à peu près la même chose à la télé, et on en parlait à l’école ou au travail le lendemain. On avait les mêmes références culturelles. La télé, c’était un peu comme la colle ou le ciment qui unissait notre société.
Je me souviens que lorsque j’étais enfant, on regardait souvent la télévision en famille. On regardait Séraphin, La poule aux œufs d’or, Rue de l’Anse, Rue des Pignons. On riait et on était émus, tous ensemble.
Tout comme la radio, la télévision est une technologie qu’on ne voit plus comme une technologie parce que ça fait partie du paysage depuis tellement longtemps. C’est comme si elle avait toujours été là. Mais je suis certain que sans cette technologie, nous aurions évolué de façon différente et beaucoup moins cohérente, et qu’il aurait été beaucoup plus difficile de préserver notre culture et notre langue.
Troisième partie : internet
Internet est une technologie relativement nouvelle. Nous avons commencé à utiliser les ordinateurs au travail, et j’ai acheté mon premier ordinateur, autour de 1995.
Au début, ça n’a pas changé grand-chose par rapport aux technologies déjà existantes. C’est à la longue, avec l’arrivé de Facebook, Twitter, Instagram et YouTube, que ç’a transformé le paysage médiatique et beaucoup d’autres choses. Internet a créé des liens différents entre les citoyens et a donné naissance à un sentiment d’appartenance différent.
Avec internet et la multitude de chaînes de télévisions spécialisées disponibles sur le câble et ailleurs, on peut avoir accès à une infinité de contenus qui proviennent d’un peu partout dans le monde.
Quand ma femme est arrivée au Canada au début des années 1980, elle a décidé de ne pas avoir de contacts avec la communauté vietnamienne d’Ottawa parce qu’elle voulait s’intégrer à sa société d’accueil. Maintenant, quarante ans plus tard, elle regarde autant, sinon plus, la télévision en vietnamien qu’en anglais ou en français. L’attrait est trop grand. Sur YouTube, il y a les nouvelles en vietnamien et plusieurs YouTubers qui diffusent des vidéos en vietnamien sur leur vie de tous les jours : un Vietnamien qui consacre sa vie à secourir des chiens abandonnés, un autre qui se fait appeler Color man et qui aide les personnes dans le besoin, une Vietnamienne qui vit au Japon avec son mari japonais, une autre qui vit en France avec son mari français, un agent immobilier qui fait visiter des maisons et des condos un peu partout au Vietnam, etc. Et plus ma femme regarde ces vidéos, plus on lui en propose de nouvelles avec des contenus similaires.
D’une part, il y a cette culture globale, en grande partie américaine, qui uniformise la société en proposant des références et des stéréotypes universels ; d’autre part, il y a ces éléments culturels d’ailleurs qui font concurrence à la culture locale du pays où des immigrants ont choisi de s’établir. Le résultat, c’est qu’il y a plus de diversité mais également beaucoup moins de cohésion dans la société.
Et il n’y a pas que les différences linguistiques et culturelles. Il y a aussi les regroupements à l’intérieur de la société basés sur ses intérêts différents, des groupes d’âges différents et des opinions politiques différentes. On ne peut pas imaginer aujourd’hui toute une famille assise devant le téléviseur en train de regarder la même émission. Il y a en a un qui joue à un jeu vidéo, une qui écoute de la musique, un autre en train de texter à ses amis, un autre qui regarde de la porno et une qui regarde un film en anglais sur Netflix.
Au Québec, Il y a toujours eu des différences d’opinions qui ont divisé la société. On peut penser aux débats sur la conscription pendant la Guerre qui se sont faits dans les journaux et à la radio ; on peut penser aussi aux référendums de 1980 et 1995 qui ont suscité bien des débats animés et des échanges d’opinion dans les journaux et à la radio, mais aussi et beaucoup à la télévision. La différence avec maintenant, c’est qu’autrefois ces débats étaient basés sur la même réalité et sur des faits qui étaient les mêmes pour tout le monde, mais qui étaient évalués et considérés de façons différentes par chacun.
Internet a donné la possibilité à des groupes comme QAnon de répandre de fausses informations et de transformer la réalité dans le but d’atteindre leurs objectifs politiques ou autres. Ce n’est pas là un phénomène nouveau. Goebbels, le ministre de la propagande d’Hitler, avait fait la même chose avec la radio dans les années 1930. Ce qui est différent avec internet, c’est que la capacité de répandre ces fausses informations est devenue anonyme, très rapide et très efficace. Et avec les logarithmes utilisés par Google, les utilisateurs sont sans cesse dirigés vers d’autres contenus qui corroborent et amplifient ce à quoi ils ont déjà été exposés. Il va sans dire que tout ça est très dangereux pour la vérité et la démocratie.
Ça, c’est l’aspect négatif d’internet et des nouvelles technologies qui en découlent. Mais il y a aussi des aspects positifs à cette technologie comme le fait d’avoir accès instantanément à des tonnes d’informations sur plein de choses et la possibilité de pouvoir communiquer avec des personnes partout dans le monde. Ma femme parle avec sa sœur au Vietnam presque tous les jours. Elle dépose sa tablette sur le comptoir de la cuisine et montre à sa sœur qui est à presque 14 000 km d’Ottawa ce qu’elle est en train de préparer pour le dîner. Elles parlent de tout et de rien et restent souvent silencieuses pendant quelques secondes, comme si elles étaient ensemble dans la même pièce de la même maison. Et sans la technologie, je n’aurais pas pu écrire cet article et le partager avec vous.
Je terminerai ce texte en paraphrasant Marshall Macluhan, le philosophe canadien, qui a écrit « The medium is the message » en ajoutant « The technology is the culture. »
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