Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Conversation dans un avion

Dans un avion à destination de Paris, un jeune au milieu de la vingtaine, Sylvain, et un vieux de 70 ans, Pascal, sont assis l’un à côté de l’autre. Ils ont parlé de choses et d’autres, de qui ils sont, de ce qu’ils font dans la vie, et de ce qu’ils vont faire en France. Sylvain vient de Montmagny. Il vient de finir ses études. Il a obtenu un baccalauréat en communication publique de l’université Laval. Il va en Bretagne pour rencontrer en personne une jeune femme qu’il a rencontrée en ligne il y a quelques années. Pascal vient de Shawinigan. Il est veuf depuis une dizaine d’années. Il est retraité de la fonction publique fédérale. Il travaillait à l’Agence  du Revenu du Canada. Lui aussi a rencontré en ligne une femme qu’il va rencontrer en personne.

 

Après un bout de temps à jaser avec Pascal, comme le font souvent les Québécois, Sylvain est passé naturellement du vouvoiement au tutoiement. Après les banalités d’usage, la conversation a changé de ton. Elle est devenue plus large et plus intime. Écoutons-les !

 

Sylvain : Mais toi, Pascal, quand t’as fini tes études, j’imagine que ç’a pas dû être trop difficile de trouver un emploi. Dans ce temps-là, la fonction publique, au provincial comme au fédéral, engageait à tour de bras.

 

Pascal : C’est vrai, mais j’ai pas commencé à travailler tout de suite après avoir fini mon cégep. J’ai été un hippie pendant deux ans. J’ai vécu dans une commune dans le Beauce : le pot, l’amour libre, la musique psychédélique, Bob Dylan…Wow !

 

Sylvain : Pis après ça, t’es retourné à Shawinigan, t’as trouvé un emploi au gouvernement, t’as rencontré ta femme, vous vous êtes mariés, vous avez acheté une maison et vous avez eu des enfants.

 

Pascal : C’est en plein ça. Pis toi, Sylvain, as-tu une idée de c’que tu vas faire ?

 

Sylvain : J’vais probablement travailler à contrat pendant un certain temps. Après ça, j’vais essayer de trouver un autre contrat. J’aurai probablement jamais d’emploi permanent, pas d’avantages sociaux et de régime de retraite comme toi. Pour c’qui est d’acheter une maison, oublie ça ! Avec le prix des maisons…

 

Pascal : Ouais ! J’comprends. J’ai payé ma maison 50 000 $ ; maintenant, j’pourrais la vendre 500 000 $. Mais dis-moi donc, Sylvain, vous autres, les jeunes, avez-vous du ressentiment envers nous autres, les vieux ? On entend souvent les jeunes dire que nous autres, les baby-boomers, on a tout eu cuit dans le bec.

 

Sylvain : Y en a plusieurs qui pensent comme ça mais pas moi. Moi, j’me dis que les circonstances étaient différentes quand t’avais mon âge. J’pense que les circonstances, bonnes ou mauvaises, dans lesquelles on vit dépendent de plusieurs choses qu'on contrôle pas. Moi, personnellement, c’qui m’fait chier, c’est quand j’entends des vieux dire que si les circonstances et la vie ont été meilleures pour eux, c’est parce qu’ils étaient plus courageux, plus vertueux et ingénieux, et que les jeunes sont gâtés pourris et paresseux. 

 

Pascal : Ouais, j’comprends c’que tu veux dire. J’ai un beau-frère comme ça qui passe son temps à critiquer les jeunes. Moi, j’crois que c’est une infime partie de la population qui met en place les structures et les institutions qui controlent nos vies pour le meilleur ou pour le pire, que ce soit au niveau politique, social et économique. C'est aussi eux qui décident de temps en temps de faire la guerre. Je c’rois aussi que c’est une partie encore plus infime de la population qui invente les choses comme l’électricité, l’utilisation de l'énergie fossile, le téléphone, l’internet et les ordinateurs qui changent nos vies. Le reste, 99% de la population, profite ou subit les conséquences positives ou négatives de tout ça, dépendant d’où et quand ils sont nés.

 

 

Les deux voyageurs cessent de parler, baillent et s’assoupissent quelque part au-dessus de l’Atlantique. Ils se réveillent au-dessus de la Normandie.

 

 

Sylvain : Ta Lucienne, est-ce qu’elle va être à l’aéroport pour t’attendre ?

 

Pascal : Oui, elle va être là. Elle habite près de la Seine, pas trop loin de Paris.

 

Sylvain : Qu’est-ce que vous allez faire ? Allez-vous visiter Paris ?

 

Pascal : Non, je suis déjà allé quelques fois à Paris. J’ai déjà tout visité : la Tour Eiffel, le Panthéon, Le Louvre. On va rester chez Lucienne. Je vais l’aider à planter ses fleurs. On va marcher près de la Seine. Je vais lui parler de ma femme et elle va me parler de son mari. Ça va être platonique. On va être comme deux vieux amis. Et toi, Sylvain, est-ce que ta Sylvie va être à l’aéroport ?

 

Sylvain : Oui, elle est partie de Lamballe ce matin.

 

Pascal : Lamballe ? C’est là qu’elle habite ? Je suis allé à Lamballe en 1972 quand J’ai visité la Normandie et la Bretagne à vélo. C’était le 14 juillet. Il y avait un bal populaire.[1] Penses-tu que ça pourrait être plus que de l’amitié avec Sylvie ?

 

Sylvain : Je ne sais pas, peut-être. Je suis ouvert à tout.

 

Pascal : Toi qui es jeune, avec tous les problèmes qu’il y a dans le monde maintenant, les changements climatiques, la menace d’une guerre nucléaire et tout le reste, es-tu optimiste ou pessimiste face à l’avenir ?

 

Sylvain : Je te dirais que je suis réaliste. Je sais que ma génération a des problèmes qui ont l’air insurmontable à affronter et que les circonstances ont beaucoup changé depuis que tu es allé à Lamballe en 1972, mais je te dirais aussi que même si les circonstances ont changé, le cœur humain n’a pas changé. On garde toujours l'espoir de trouver la paix et l’amour malgré les circonstances.

 

 

Mesdames et messieurs, le commandant de bord a allumé le panneau "Attachez votre ceinture" signifiant que nous amorçons notre descente vers l'aéroport international Charles-de-Gaulle…

 

 

Pascal : Je te souhaite bonne chance avec ta Sylvie. Je suis bien content de t’avoir rencontré.

 

Sylvain : Moi aussi, je suis content de t’avoir rencontré, Pascal. Bonne chance avec ta Lucienne !

 

 

 



[1] J’étais à Lamballe pour le 14 juillet en 1976. Je me souviens que j’ai dansé avec une jeune fille sur une chanson de Jean-Pierre Ferland. Comme Pascal, je visitais la Normandie et la Bretagne à vélo.



18/04/2024
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