Les rêveries du retraité solitaire

Je n’ai jamais été bon au hockey. Quand j’étais en troisième et en quatrième année, j’étais dans la même classe que Guy Lafleur. On jouait au hockey le samedi matin à l’aréna de Thurso dans la ligue qu’on appelait les moustiques. Même si j’étais probablement le pire joueur de l’équipe, je me disais que mon talent était latent et qu’il allait bientôt se manifester. Il fallait tout simplement que je trouve mon style de jeu.

Quand j’avais vingt ans et que je lisais plein de poésie et de romans, je me disais qu’un jour je deviendrais moi aussi un grand romancier ou un poète célèbre. Là encore, je me disais que mon talent était latent mais que je n’avais tout simplement pas encore trouvé mon style d’écriture.

Dans un de ses romans, Marguerite Yourcenar - qui était une grande romancière - a écrit : « Le véritable lieu de naissance est celui où l’on porte, pour la première fois, un regard intelligent sur soi-même. » Dans ce contexte, je crois que le mot intelligent pourrait être remplacé par lucide. Quand est-ce que j’ai porté pour la première fois un regard lucide sur moi-même ? Je ne crois pas que ce soit arrivé un jour précis. Ça s’est fait progressivement, comme le brouillard qui se dissipe lentement et nous permet petit à petit de voir plus clair.

Je ne crois pas que je me racontais des histoires quand je me disais que j’allais un jour devenir un joueur de hockey professionnel ou un grand poète ou romancier. J’y croyais vraiment. Le problème n’était pas dans l’absence de sincérité mais de lucidité.

Quand j’ai commencé à faire de la compétition en ski de fond, j’aurais pu me dire que j’allais un jour devenir un grand champion, mais une fois qu’on a porté un regard lucide sur soi-même, on ne peut plus retourner en arrière et se faire des illusions. Mais j’ai quand même gagné de nombreuses médailles et même des Coupes du monde…dans mon imagination. J’étais assez lucide pour savoir que ce n’était pas vrai et que ça n’arriverait jamais, mais c’est quand même agréable de rêver les yeux ouverts tout en sachant qu'il y a une différence entre le rêve et la réalité.

Il y a trente ans déjà