Les rêveries du retraité solitaire

Il est devenu prêtre à l’époque où je suis né, au début des années 1950. C’est probablement à l’adolescence qu’il a découvert qu’il avait cette attirance pour les fillettes. J’imagine qu’il est devenu prêtre parce qu’il avait naïvement cru qu’en Lui offrant sa vie en sacrifice, Dieu allait en échange le guérir de son infirmité ou l’aider à vivre avec.

Il venait chez nous quand j’avais autour de douze ans. C’était au début des années 1960. Nous habitions dans la région du Saguenay. J’avais trois sœurs qui étaient en âge d’être ses victimes. Il n’a jamais rien fait de déplacé avec elles, mais il était souvent chez nous pour raconter des histoires et faire des tours de magie. C’est un peu plus de cinquante plus tard, dans un reportage à la télévision, alors que nous avions depuis longtemps quitté le Saguenay, que j’ai su ce qui était arrivé.

Il y a eu pendant plusieurs années et à plusieurs reprises des plaintes pour des attouchements. On l’a changé maintes fois de paroisses mais ç’a continué. Il a finalement été arrêté, jugé et condamné. Au cours de son procès, il n'a pas nié ; mais il dira qu’au lieu de le protéger et de le camoufler, son Église aurait dû lui offrir les traitements dont il avait besoin. Il est mort à 80 ans dans une cellule de prison, méprisé par les hommes et oublié par Dieu.

Selon moi, ce qu’il y a de plus cruel et tragique dans cette histoire qui est celle qu’ont vécue tant de prêtres pédophiles un peu partout dans le monde, c’est que cet homme, prisonnier de ce que la nature avait fait de lui, avait la capacité d'imaginer, de rêver et d’espérer qu’il aurait pu devenir différent de ce qu’il était. C’est un cruel et tragique destin.