Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Tout est dans le regard

« Nous n’apprenons jamais pourquoi et en quoi nous agaçons les autres. En quoi nous leur sommes sympathiques, en quoi nous leur paraissons ridicules ; notre propre image est pour nous un mystère. »         Milan Kundera

 

 

Nous pouvons définir notre identité à partir de ce que nous sommes physiquement (sexe, âge, taille, poids, couleur de la peau, des yeux et des cheveux...si on en a). Nous pouvons aussi définir notre identité à partir de notre orientation sexuelle, de notre famille, de notre nationalité, de la classe sociale à laquelle nous croyons appartenir, de notre culture, de notre philosophie et de nos valeurs, de nos convictions religieuses et politiques, du travail que nous faisons et des activités que nous pratiquons pendant nos loisirs.

 

Notre identité, c’est également l’image, positive ou négative, que nous avons de nous-même. Mais, comme l’a si bien dit Milan Kundera dans la citation que j’ai mise au début de cet article, ce qui reste pour nous un mystère, c’est l’image que nous projetons, la façon dont les autres nous voient. C’est ce à quoi j’aimerais réfléchir en écrivant ce texte.

 

Est-ce que l’image que nous nous faisons de nous-même correspond à celle que nous projetons aux autres ? Étant donné que je ne peux pas parler pour les autres, je vais vous parler de moi. Alors que je pensais un peu à ce que j’allais écrire en finissant de faire du ski de fond cet après-midi, une phrase m’est venue à l’esprit pour décrire l’image que je me fais de moi-même « Un petit vieux un peu ridicule qui veut plaire à tout le monde, et qui attache beaucoup trop d’importance à ce qu’il vit et ce qu’il pense, mais qui a l’élégance d’en rire et de pas toujours se prendre au sérieux. »

 

Voici deux autres citations de Milan Kundera :

 

« Le souci de sa propre image, voilà l’incorrigible immaturité de l’homme. »

 

« Le plus grand plaisir c’est d’être admiré. »

 

Kundera a écrit des dizaines de livres qui ont été traduits dans plusieurs langues et lus par des millions de personnes. Est-ce que ce qui l’a motivé à écrire est le souci de sa propre image et le désir d’être admiré ? Je ne sais pas. Je ne peux pas parler pour lui. Tout ce que je sais, c’est que le fait d’avoir écrit ces deux petites phrases démontre clairement qu’il était conscient de ce besoin.

 

Et moi, est-ce que ma motivation pour écrire découle du même besoin ?  Je mentirais si je disais que ce n’est pas le cas. Que l’on écrive pour des millions de lecteurs ou pour quatre ou cinq personnes ne change rien. Si j’écris mes petits articles pour tenter de m’expliquer à moi-même et à quelques autres pourquoi je suis devenu ce que je suis, et pourquoi j’en suis venu à penser ce que je pense et à croire ce que je crois, c’est que je tente désespérément de me convaincre que je suis meilleur que je le suis en réalité, et que je recherche une certaine forme de reconnaissance pour m'aider à me sentir mieux. Je peux vous le dire. Ça ne marche pas ! Parce que la reconnaissance, c'est comme la drogue; plus on en a, plus on en veut, et plus on en a besoin. Écrire n'a pas changé l'opinion et l’image que j'ai de moi-même...et c'est probablement la même chose pour Kundera.

 

La personne avec qui je vis depuis un peu plus de vingt ans a probablement vu les mêmes choses, qui m'agacent et qui l'agacent, que je peux voir en moi. Elle a probablement aussi vu autre chose qui, pour revenir à la première citation de Kundera, me rendent sympathique à ses yeux, mais que je ne peux pas voir moi-même. Je crois que c’est l’amour dans le regard que nous portons sur l'autre qui permet à l'autre de se voir autrement et de commencer à s'aimer malgré ses faiblesses et ses défauts. Leonard Cohen a déjà dit que si le vieux maître spirituel japonais qui était responsable du monastère bouddhiste où il a vécu pendant plusieurs mois avait un véritable et authentique amour pour lui, ce n’était pas pour ce qu'il croyait être mais pour ce qu’il était vraiment. Je crois que c’est la même chose pour Maria avec moi. C'est son regard qui m'a aidé à mieux m'accepter tel  je suis et à ne pas me juger trop sévèrement.

 

Notre identité profonde va au-delà des catégories que nous pouvons utiliser pour la décrire, et même si, comme le dit Kundera, nous avons le souci de notre propre image et que notre plus grand plaisir est d’être admirés, nous avons surtout besoin d’être aimés. C’est le regard d’amour que l’autre porte sur nous qui nous révèle à nous-mêmes ce que nous sommes vraiment, et qui nous permet d'avoir une meilleure image de nous-mêmes malgré nos imperfections, nos défauts et notre immaturité. Tout est dans le regard.

 

 

 



31/01/2019
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