Le pèlerinage
J’ai toujours été fasciné par le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. J’ai parlé avec des amis qui avaient l’intention de le faire. J’ai lu des articles. J’ai vu deux films et de nombreux reportages sur le sujet. Par contre, je n’ai jamais été tenté de le faire moi-même. Je suis beaucoup trop douillet. Juste à penser que j’aurais à partager une toilette avec des dizaines d’autres personnes et je suis déjà constipé. En plus, je souffre d’insomnie. Ça me prend une éternité à m’endormir dans mon grand lit avec des draps propres et mon chat qui ronronne à mes pieds. Je ne peux pas m’imaginer dormir dans un lit superposé avec une symphonie de ronfleurs autour de moi et parfois même en compagnie de punaises de lit. Il y a aussi les ampoules aux pieds qui sont inévitables quand on marche une vingtaine de kilomètres par jour, jour après jour, pendant plus d’un mois.
Si je peux vous parler de ces détails de la vie d’un pèlerin, c’est que j’ai eu l’occasion de rencontrer quelqu’un qui a fait le pèlerinage. Au cours d’un récent voyage à Cuba, j’ai fait la rencontre d’une femme que j’avais connue il y plus de trente ans quand nous étions membres du même club de ski de fond. Non seulement m’a-t-elle parlé du pèlerinage qu’elle a fait peu longtemps après avoir pris sa retraite, il y a neuf ans, mais elle m’a envoyé son journal de bord pour que je puisse le lire. Je lui suis très reconnaissant de m’avoir laissé pénétrer dans l’intimité de sa vie et de ses pensées. J’ai appris des choses très enrichissantes et très intéressantes.
Il y a tout d’abord la description des paysages accompagnée de nombreuses photos. C’est comme si voyait défiler une succession de tableaux. Il y a les collines et les montagnes, les rivières et les ruisseaux, les prés et les forêts, la pluie et le soleil brûlant de l’Espagne, les vaches et les cochons, et la senteur du purin. La description des refuges et des auberges nous fait découvrir le caractère unique de chacun de ces endroits où les pèlerins doivent s’arrêter pour se restaurer et pour dormir. Ils sont tous très différents. Les villages avec leurs places publiques sont décrits avec beaucoup de détails. Il y en a qui sont moins animés et d’autres dont les rues sont remplies de monde.
Les personnes occupent une place importante dans le journal. Il y en a avec qui on passe plus de temps et qu’on finit par mieux connaître. Il y en a d’autres qu’on croise rapidement comme la propriétaire d’une auberge, d'origine néerlandaise, un peu bohème, pieds nus dans la fraîcheur matinale, qu’on rencontre au début du récit, deux Chinoises tranquilles et très gentilles, des Allemandes, des Espagnols, un Américain et plusieurs Français. Il y en a qui sont là pour oublier un chagrin d’amour, d’autres qu’on peut voir se transformer au cours de la longue marche. Les pèlerins ne sont pas tous là pour les mêmes raisons et chacun a sa propre façon d’aborder le pèlerinage. Le journal fait une place à toutes ces personnes et donne une dimension très humaine au récit. On dit que sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, on marche toujours seul mais qu'on n'est jamais seul pour marcher.
J’avais toujours imaginé ce pèlerinage comme quelque chose qui se passe presque dans une autre dimension. Les pèlerins qui marchent en priant, chantant ou méditant comme dans une procession, très peu préoccupés de leurs besoins matériels et physiques. Il y a bien sûr une dimension spirituelle, sinon on n’appellerait pas ça un pèlerinage, mais en lisant le journal, je me suis rendu compte qu’on vit le voyage beaucoup plus dans son corps que dans sa tête. On se demande si on va pouvoir finir la journée malgré les ampoules qu’on a aux pieds. On cherche un endroit relativement tranquille et pas trop cher pour dormir. Il faut trouver un médecin pour soulager une colite ou une bronchite. Il y a les ronfleurs et les punaises de lit dans les refuges, les lits superposés à trois étages, deux toilettes et deux douches pour 125 pèlerins.
L’aspect le plus intime de ce journal, ce sont les émotions. J’ai pu voir se succéder les fous rires, les moments de découragement, l’ennui de son chum, le désir de se retrouver seule pendant quelque temps pour marcher, la fatigue, la frustration de devoir faire un effort pour parler anglais avec un Américain qui n’a pas l’air de vouloir nous quitter.
Je n’ai jamais fait le pèlerinage, mais je crois que la dimension spirituelle est liée aux conditions matérielles difficiles. Si les conditions étaient plus faciles, si on pouvait faire le pèlerinage uniquement dans sa tête, allègrement, en priant, en philosophant et en chantant, il n’y aurait pas de véritable dimension spirituelle. Il n’y aurait que des émotions à fleur de peau. J’ai retenu deux réflexions de l’auteur de ce journal, et je suis certain que ça n’est pas le fruit d’un effort intellectuel pour trouver quelque chose d’intéressant à dire, mais le résultat d’une expérience humaine très intense vécue dans sa chair autant que dans son esprit.
Merci encore, Janine, de m’avoir donné le privilège de lire ton journal !
Pierre
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