Sur des terrains différents
Je suis tombé par hasard sur la page Facebook d’un gars avec qui j’étais ami il y a cinquante ans. En fait, je ne suis pas vraiment tombé par hasard. J’ai pensé à lui et je suis allé dans Facebook pour voir s’il était là. Dans sa photo, il est appuyé sur un bâton de golf et il sourit. C’est sûr que je ne l’aurais pas reconnu, et que lui non plus ne m’aurait pas reconnu, si on s’était croisé dans un centre d’achats. Disons, pour être généreux, que nous n’avons plus ni l’un ni l’autre exactement la même coupe de cheveux.
Ce que je me souviens de Rémi, c’est qu’il était très actif et qu’il avait plusieurs activités. Il faisait partie d’un club d’ornithologie avec qui il partait pour de longues marches dans le Parc de la Gatineau ou au bord de la rivière. Il était aussi membre d’un club de vélo avec il s’entraînait régulièrement. Rémi faisait aussi partie d’une troupe de danse folklorique. Ils apprenaient des danses traditionnelles de différents pays et se produisaient en spectacle quelques fois par année. À chacun de ces intérêts étaient associés des amis auxquels il faisait référence en disant par exemple : « Ça, c’est un ami du folklore. Je suis allé au resto avec une amie du vélo. Celui-là, c’est un ami des oiseaux. » Avec les membres de chaque catégorie, il avait des points communs différents et des conversations différentes. C’était un peu comme Facebook aujourd’hui, sauf qu’il avait de véritables contacts avec ses mis du folklore, du vélo et des oiseaux.
Un jour, j’ai demandé à Rémi s’il croyait que s’il réunissait tous ses amis avec des intérêts si différents, ils allaient pouvoir s’entendre. Il m’a répondu que oui, qu’ils allaient probablement pouvoir s’entendre, et que certains deviendraient même des amis, mais que ça n’irait jamais aussi loin dans des conversations comme par exemple sur les types de dérailleurs et les cadres de vélos, les couleurs des plumes et l’habitat des oiseaux et la différence entre les danses traditionnelles de Grèce et du Turquie. Il a conclu en disant que s’il pouvait se sentir à l’aise avec des personnes aussi différentes, c’est qu’il les rencontrait sur des terrains différents. Et il a ajouté : « Je ne pourrais pas les rencontrer tous sur le même terrain en même temps. »
Rémi et moi, nous passions notre temps à faire des blagues. Nous connaissions les disques des Cyniques et d’Yvon Deschamps presque par cœur. Étant donné que j’étais pensionnaire au collège et que je ne pouvais sortir que les week-ends, et que lui était étudiant externe et qu’il rentrait à la maison tous les soirs, il me racontait toutes les blagues qu’il avait entendues à la télé. Un jour, je lui ai demandé si à part ses amis des oiseaux, du vélo et du folklore, il avait un autre groupe d’amis avec qui il avait des choses en commun. Il a pensé un peu et il a dit : Oui, il y a aussi les rigolos. Et nous ne sommes que deux, toi et moi. » Nous avons bien ri.
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