Passer
Comme les outardes qui s’envolent pour le sud et qui disparaissent derrière un nuage, comme la rosée qui s’évapore sous la caresse du soleil matinal, comme les feuilles dans les arbres qui bientôt vont tomber, comme les fleurs déjà fanées, je ne fais que passer.
Je ne fais que passer mais j’ai vu des champs remplis de milliers de fleurs, le soleil se coucher sur la rivière dans une symphonie de couleurs, des forêts endormies dans le froid de l’hiver, des chatons qui ronronnent, des colibris s’abreuver d’eau sucrée, le vent qui fait tourbillonner la neige, des villages et des visages illuminés dans l’immensité de la nuit, des écureuils courir sur les branches des arbres, des poissons sauter hors de l’eau et des hérons s’envoler.
Je ne fais que passer mais j’ai senti le parfum des fleurs, les feuilles mortes sur les sentiers d’automne, le vent salé de la mer, la soupe en train de mijoter et le pain en train de cuire, le café, les fraises et les framboises, les odeurs de printemps quand les ruisseaux se remettent à chanter dans les bois et que la terre dégèle lentement sous les rayons du soleil.
Je ne fais que passer mais j’ai entendu le chant des oiseaux, la pluie tomber sur les toits, le vent souffler dans la nuit quand j’étais à l’abri bien au chaud dans la maison familiale, des voix qui sont restées gravées dans mon cœur et dans ma mémoire, des cantiques de Noël, le jazz à la Nouvelle-Orléans et plein de chansons et de musiques de toutes sortes qui m’ont réjoui le cœur et qui m’ont fait pleurer.
Je ne fais que passer mais j’ai senti le soleil me dorer la peau, la fraîcheur de l’eau de la rivière et de la mer sur mon corps, l’air froid pénétrer mes narines en hiver, le goût du chocolat dans ma bouche, les cigares cubains, la douceur des caresses, le café trop chaud qui me brûlait la langue et la douleur provoquée par cette étrange maladie de la peau avec un nom bizarre qui m’a fait vouloir mourir.
Je ne fais que passer mais j’ai souffert dans mon corps et dans mon esprit ; j’ai connu la peur et j’ai aussi connu l’angoisse et le désespoir ; j’ai perdu des rêves et j’ai perdu des illusions ; j’ai combattu mes démons et j’ai pansé mes blessures.
Je ne fais que passer mais j’ai connu l’ivresse de l’amour naissant et j’ai connu la tendresse de l’amour vieillissant ; j’ai donné et j’ai repris mon cœur brisé et je l’ai réparé du mieux que j’ai pu ; j’ai bu, j’ai dansé et j’ai ri en oubliant les lendemains ; j’ai passé des nuits blanches à discuter avec des amis et d’autres nuits blanches à aimer d’une façon qui n’avait rien de platonique.
Je n’aurai fait que passer quelques poussières de seconde sur une planète perdue au milieu d’une galaxie elle-même perdue au milieu de milliards d’autres galaxie dans un univers qui existe depuis un peu plus de treize milliards et demie d’années, et tout ce que j’ai perçu de cet univers, c’est grâce aux cinq sens que j’ai reçus à ma naissance. Et je me dis que même si c’est déjà beaucoup, la réalité doit être beaucoup plus grande que ce que nous pouvons en percevoir avec les moyens limités que nous avons.
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