Les rêveries du retraité solitaire

Le gars est l’une des rares personnes que je connais qui vont encore se confesser à un prêtre. Il croyait avoir pardonné à sa femme qui l’avait trompé pendant quelques années mais il sentait au fond de son cœur qu’il ne lui avait pas vraiment pardonné et qu’il lui en voulait encore. Il avait accepté comme on dit de passer l'éponge et de continuer à vivre avec elle par opportunité, parce que ça faisait son affaire. Elle s’occupait bien de lui, préparait ses repas, lui donnait ses médicaments quand c’était le temps de les prendre ; et elle semblait avoir, à défaut d’amour passion, beaucoup d’affection et de compassion pour lui. Ils ont consulté un psychologue spécialisé en relations matrimoniales et se sont réconciliés. Il est parti le cœur plus léger mais ça n’a pas duré. Au bout d'à peine quelques jours, la rancune est revenue au galop.

C’est là qu’il a décidé d’en parler à son confesseur en se disant qu’entre ne pas pouvoir et ne pas vouloir pardonner, la frontière était bien mince, et que ça pouvait, à la limite, être considéré comme un péché. Je ne sais pas comment ça se passe aujourd’hui pour la confession, s’il y a encore la petite cabine en bois sculpté avec un rideau de chaque côté et une fenêtre coulissante grillagée en métal qui sépare le pénitent de son confident. Toujours est-il que le gars se présente au confessionnal. Le curé le reconnaît sûrement étant donné qu’ils sont si peu nombreux…et il est sans doute au courant de l’histoire avec sa femme. Il n’a pas du tout l’air surpris quand le gars lui confesse qu’il y a une partie de lui qui déteste encore sa femme et qui n’a pas réussi à complètement lui pardonner. Le curé lui dit qu’il comprend mais que s’il veut être complètement libéré, il devra pardonner avec tout son cœur et que Dieu est là pour l’aider ; et il ajoute que c’est probablement la chose la plus difficile qu’il aura à faire de toute sa vie mais aussi la plus importante. Il lui donne l’absolution et lui dit d’aller en paix.

Quelques semaines plus tard, le gars constate qu’il n’est pas en paix et que la rancune continue de lui ronger le cœur comme un rat. Il se dit qu’il va chercher comme on dit une seconde opinion. Il a un camarade de collège et d’université qui est devenu, non pas un simple psychologue, mais un psychanalyste de renom. Il lui téléphone pour prendre rendez-vous. Le gars est vraiment très occupé avec tous les problèmes qu’il y a dans notre société, mais il accepte de le rencontrer parce qu’ils étaient bons copains au collège et à l’université.

Après l’avoir écouté pendant cinq ou six heures lui raconter plus ou moins la même chose de différentes façons, le psychanalyste en arrive à la même conclusion que le curé et lui dit : « Écoute mon vieux, je sais que c’est difficile mais si tu n’arrives pas à vraiment pardonner à ta femme, tu porteras ce fardeau dans ton cœur jusqu’à la fin de ta vie. » Le gars s’impatiente un peu et lui : « Mais comment je peux pardonner ? C’est facile à dire mais pas aussi facile à faire. » Le psychanalyste réfléchit un peu et lui dit : « Je sais que tu es croyant. Pourquoi tu ne demandes pas à Dieu de t’aider ? Dans ma profession, comme dans beaucoup d’autres, on a nos limites… » C’est vrai que le gars croyait en Dieu mais il n’était pas très convaincu. Il dit à son vieux copain psychanalyste : « Mais je sens que ma femme ne m’aime plus comme avant, comme au début de notre mariage, et que ça ne sera plus jamais pareil entre nous deux. » Le psychanalyste le regarde quelques instants dans les yeux avant de lui répondre : « Rien ne sera plus jamais comme avant. Tu dois pardonner pour retrouver la joie et la liberté. C’est tout ce que je peux te dire. »

Le gars dont je vous parle est aussi mon ami. Il m’a raconté ce qui se passait dans sa vie et m’a parlé des démarches qu’il avait entreprises pour trouver une solution à son problème. Je l’ai revu il y a quelques jours. Il n’a pas eu besoin de me dire qu’il avait réussi à pardonner à sa femme avec tout son cœur. Je l’ai vu dans son sourire et dans ses yeux.

P.-S. :  Le gars dont je vous ai parlé dans cette histoire est un personnage fictif.