La décroissance
Notre système fonctionne selon une implacable logique qui fait en sorte que l’économie doit sans cesse continuer de croître pour ne pas s’effondrer. Si le taux de croissance n’est pas au rendez-vous, les gouvernements, dont les revenus ont diminué parce qu’ils ont perçu moins de taxes et d’impôts, doivent emprunter à un taux plus élevé pour payer les intérêts de la dette publique, et emprunter encore plus simplement pour continuer d’assurer les services à leurs citoyens. Ils doivent également aider les travailleurs qui ont perdu leur emploi à cause du ralentissement de l’économie et les entreprises qui se retrouvent au bord de la faillite. Ils doivent aussi payer des entreprises étrangères pour les convaincre de venir s’établir sur leur territoire. De plus, les contributions des travailleurs investis dans le marché boursier par leurs régimes de retraite perdent de leur valeur quand l’économie ralentit, ce qui crée beaucoup d’anxiété et d’incertitude par rapport à l’avenir.
La précarité des emplois, la dégradation des normes de travail et la relocalisation des entreprises vers des pays où les travailleurs sont moins bien payés et beaucoup moins protégés ne sont pas les plus grandes menaces que fait peser sur nous cette course effrénée vers la croissance économique. Premièrement, pour produire davantage, ça prend de l’énergie, et l’énergie vient de la combustion du pétrole, du gaz naturel et de charbon. Si on ne trouve pas de façons plus écologiques de produire de l’énergie, l’effet de serre fera augmenter la température à un niveau intolérable pour notre survie. Une autre grande menace qui pèse sur nous est la rivalité grandissante entre des nations qui possèdent des armes de destruction qui pourraient anéantir la planète. Finalement, le défaut de paiement de la dette énorme de certains pays comme les États-Unis pourrait déstabiliser le système et entraîner le monde dans une crise financière et économique sans précédent.
Pour contrer les effets négatifs de la croissance économique, on a développé le concept de décroissance ou de simplicité volontaire. Voici la définition qu’en donne Wikipédia: « La décroissance est un concept à la fois politique, économique et social, né dans les années 1970 et selon lequel la croissance économique apporte davantage de nuisances que de bienfaits à l’humanité. » On propose la décroissance soutenable comme alternative au développement durable. Il y a beaucoup d’informations intéressantes sur ce sujet en ligne. Le biologiste, généticien et essayiste français Albert Jacquard a écrit plusieurs ouvrages qui traitent directement ou indirectement de ce concept. J’ai lu un de ses livres il y a quelques années, et j’ai trouvé très convainquant ce qu’il a écrit.
La question que l’on pourrait se poser est si, dans le contexte actuel, ce concept pourrait être appliqué avec succès. Je crois que pour réussir, il faudrait que ça se fasse au niveau individuel (conscientisation et engagement personnel) en même temps que collectif (économique et politique). Personnellement, je ne suis pas très optimiste. Hier, il y a eu une démonstration dans les rues de Paris pour protester contre les effets négatifs de la croissance sur l’environnement qui a attiré à peu près 15 000 personnes. On a demandé à certains participants ce qu’ils faisaient concrètement pour contrer le problème. Un jeune homme a dit qu’il n’avait pas de voiture et n’utilisait que les transports en commun, une manifestante a dit qu’elle ne laissait pas inutilement couler l’eau du robinet quand elle se brossait les dents; plusieurs ont parlé de l’importance de mieux recycler les déchets. Cet engagement personnel et ce désir de changer les choses sont très importants mais ne sont pas suffisants pour renverser la vapeur. Au niveau individuel, plusieurs, surtout parmi les plus âgés sont un peu défaitistes. Ils se disent que les petits gestes concrets qu’ils peuvent poser sont insignifiants par rapport à l’ampleur du problème et espèrent tout simplement ne plus être là quand ça va éclater. « Après moi le déluge. »
À un autre niveau, quand je regarde la politique et l’économie à l’échelle mondiale, je suis encore moins optimiste. Les États-Unis, avec leur niveau d’endettement, et parce que ce serait politiquement suicidaire pour les politiciens de le proposer à leurs électeurs, ne choisiront pas de volontairement décroître leur économie et de diminuer leur consommation pour sauver la planète. Les Chinois, de leur côté, commencent à peine à profiter des retombées du succès économique de leur pays qui est en train de les propulser au premier rang mondial. La classe moyenne a maintenant les moyens de se payer une voiture et de voyager. Les Chinois ne choisiront pas de retourner volontairement vers la pauvreté et la faiblesse face à l’Occident qu’ils ont connues au cours des derniers siècles. Ces deux économies constituent à peu près la moitié de l’activité économique mondiale et de ses effets négatifs sur la survie de notre planète. Les autres pays, selon qu’ils sont industrialisés ou en voie de développement, ont une position intermédiaire entre les deux; quelques-uns, parce qu’ils ont moins à perdre ou à gagner, seraient même favorable à une décroissance… en autant que ça ne les affecte pas trop.
Je crois qu’aucun changement significatif n'arrivera à moins qu’il ne se produise un cataclysme environnemental majeur à l’échelle mondiale, qu’il y ait un effondrement global de l’économie ou un conflit armé avec l’utilisation d’armes nucléaires. Pour conclure, j'ajouterais que je suis conscient que le fait de posséder une voiture contribue à augmenter l'effet de serre, et que chaque courriel que j’écris, que chaque article que je publie dans mon blog[1], que chaque fois que je prends l’avion ou que je fais une croisière, il y a un effet négatif sur l’environnement. C’est facile de recycler ses déchets, de ne pas laisser couler du robinet quand on se brosse les dents ou de ne pas avoir de voiture quand on habite dans une grande ville comme Montréal ou Paris et qu'on n'a pas besoin de voiture pour sortir de la ville pour aller faire du kayak ou du ski de fond, mais c'est beaucoup plus difficile de changer des habitudes qui font partie intégrante de nos vies ou de renoncer à ce qu'on aime vraiment pour faire notre part, aussi minime soit-elle, pour sauver la planète et contribuer à la décroissance. Je suis, au niveau individuel, dans la même position que les pays qui se situent, au niveau politique et économique, à mi-chemin entre les États-Unis et la Chine. Je serais favorable à une décroissance...en autant que ça ne m'affecte pas trop.
[1]« Ils n’ont pas de pot d’échappement, ne rejettent pas de produits chimiques, sont inodores et immatériels. Et pourtant, les milliers de mails, de SMS, de photos et de vidéos que nous envoyons chaque jour sur Internet ont un impact non négligeable sur le développement de la planète. » écrivait Frédéric Mouchon dans un article intitulé La pollution invisible du Net en janvier 2017.
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