Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

L'espoir a-t-il un avenir ?

Il y a quelques semaines, en sortant de la bibliothèque, j’ai aperçu du coin de l’œil un livre dont le titre m’a intrigué : L’espoir a-t-il un avenir ? Je me suis dit que ce livre m’aiderait peut-être à réfléchir à ce que l’espoir représente pour moi. Je l’ai emprunté et je l’ai lu. Dans cet article, je vais vous parler un peu de ce livre et de ce que j’ai appris par rapport à moi-même en le lisant.

 

Le livre a été écrit en collaboration par deux auteurs français : Roger-Pol Droit est philosophe et écrivain et Monique Atlan est journaliste. Ensemble ils ont écrit un traité de philosophie qui ressemble un peu à une enquête. Ils commencent par faire un survol de qui a été dit et écrit au sujet de l’espoir dans la mythologie grecque, dans les traditions religieuses et dans la philosophie occidentale.

 

Les auteurs expliquent comment, dans la mythologie grecque, le mot grec elpis, qui correspond au mot français espoir, a changé de sens avec le temps. Au départ, le mot désignait « un calcul de l’avenir probable, avec le plus de discernement et de vraisemblance possible. » Ce sens existe encore de nos jours dans des réflexions comme : « Si on part vers midi, on peut espérer être à Québec vers six heures. » Avec le temps, le mot a fini par avoir le sens qu’on lui attribue aujourd’hui, « un souhait subjectif, à l’opposé de toute vraisemblance concernant la réalité. » Les auteurs vont plus loin en disant que « L’espoir n’est plus un calcul, mais un sentiment. Il n’est plus un diagnostic, il devient consolation, ultime issue. » J’ai trouvé cette partie du livre intéressante même si je ne suis pas très familier avec la mythologie grecque. Par contre, je suis fasciné de voir comment le sens des mots évolue.

 

Avec le christianisme, l’espoir devient, avec la foi et la charité, une vertu théologale. Les auteurs nous font remarquer au passage que le français est la seule langue européenne à utiliser un autre mot pour désigner l’espoir dans ce contexte : l’espérance. Voici ce qu’ils écrivent au sujet de ce nouvel espoir :

 

« Il suppose un ensemble de postulats entièrement nouveaux : existence d’un Dieu unique, créateur, omniscient, omniprésent, omnipotent, attentif aux destinées humaines et venu finalement s’incarner, se faire homme, et mourir pour sauver les humains. Chacun de ces points, considérés isolément, était plus ou moins déconcertant pour un esprit antique-polythéiste, enclin le plus souvent à penser que les dieux ne se soucient pas de nous. »

 

Je dois dire que grâce à mon éducation et à mon expérience personnelle, je suis très familier avec cette notion d’espérance qui découle de la foi que saint Paul décrit comme étant « l’assurance des choses qu’on espère, et la conviction de celles qu’on ne voit pas. » Il y a un très beau poème par le poète anglais Dylan Thomas[1] qui proclame l’espérance chrétienne en la résurrection. Le titre de ce poème est Death Shall Have No Dominion. Vous pouvez l’écouter récité par des acteurs comme Richard Burton en allant dans YouTube.

 

Le chapitre consacré à la religion juive a pour titre L’espoir juif ou l’attente infinie. Les auteurs décrivent l’espoir juif de la façon suivante :

 

« Un espoir fondé contre toute évidence, persistant malgré tout, sans cesse questionné, mais sans cesse réaffirmé. Une attente-espoir envers et contre tout, envers et contre l’histoire elle-même et les coups répétés qu’elle infligera par la suite, la dispersion et l’asservissement par Rome, la Perse et Byzance, la chrétienté ou l’islam… »

 

Le titre du dernier album de Leonard Cohen avant sa mort porte le nom d’une chanson qui s’y trouve : You Want It Darker. Dans cette chanson aux accents lugubres, le poète s’adresse à Dieu :

 

« If you are the dealer, I’m out of the game. If you are the healer, it means I am broken and lame. If thine is the glory then mine must be the shame. You want it darker, we kill the flame. A million candles burning for the help that never came. »

 

Ceci s’inscrit dans la tradition religieuse juive. Je me souviens d’avoir lu dans un livre écrit par un survivant de l’holocauste[2] qu’un juif pouvait questionner et même critiquer Dieu, mais qu’il ne pouvait pas lui être indifférent. Un peu après son décès, un rabbin juif a rendu hommage à Leonard Cohen dans une vidéo qu’il a mise dans YouTube. Le titre de la vidéo est Rabbi Sacks on Leonard Cohen. Ça vaut la peine de la regarder jusqu’à la fin. Non seulement ce qu’il dit est très beau et très touchant, mais en l’écoutant parler de la poésie dans les chansons de Leonard Cohen, c’est  comme si on entendait battre le cœur meurtri du judaïsme.

 

Les auteurs ne parlent pas de l’Islam mais nous savons que, tout comme le christianisme et le judaïsme, il s’agit d’une religion révélée, donc que l’espoir ou l’espérance y joue un rôle primordial. Il y a l’attente de la résurrection après la mort, de la récompense ou de la punition éternelle et du Royaume de Dieu.

 

Le bouddhisme pour sa part n’est pas une religion révélée. C’est plutôt une religion qui s’apparente à une philosophie, née de la réflexion et de l’intuition de Buddha, ce prince qui une fois sorti de son palais où il avait été protégé des dures réalités du monde, s’est mis à chercher un sens à la vie après avoir été confronté à la vieillesse, à la souffrance et à la mort. Le bouddhisme invite ses adeptes à atteindre, par la pratique de la méditation, un niveau de réalité dans lequel le moi se dissout dans la grande conscience universelle pour atteindre le nirvâna. « Le bouddhisme devient l’emblème de son rêve d’en finir avec les conflits. Les épreuves, les duretés de la vie, de viser un état ‘nirvânesque’ de l’existence, quitte à en finir avec ce qui vaut qu’elle soit vécue. » Je dois avouer que j’ai été tenté et que je le suis encore par le bouddhisme. En ce sens, je ne suis pas très différent de plusieurs de mes contemporains. Voici ce qu’écrivent les auteurs au sujet de cet engouement pour le bouddhisme :

 

« Le bouddhisme est paré de toutes les vertus.  On ne voit plus en lui que douceur et apaisement. Une leçon de vie venue d’ailleurs, préservée de nos violences, exempte de nos illusions, intacte des scories de la pensée qui n’a pu éviter la barbarie. Si sagement dépourvue d’espoir, de désir et d’action qu’elle est suprêmement bienvenue. D’autant qu’elle est garantie sans un au-delà d’aucune sorte. Celle pensée cyclique désamorce l’idée même de projet. Elle offre comme une sagesse de repli, qui prétend parler au nom de la vie même. »

 

Qu’en est-il de la relation entre l’espoir et la philosophie ? Les auteurs constatent que les philosophes ne s’intéressent pas beaucoup à l’espoir. Ils n’ont trouvé que deux philosophes qui s’y étaient un tant soit peu intéressé : Ernst Bloch et Hans Jonas.[3] Je crois que c’est parce que l’espoir ne fait pas bon ménage avec la logique et la raison. Pour moi, l’espoir se situe plus au niveau de l’intuition et des émotions. J’ai trouvé la partie du livre consacrée à la philosophie, qui fait un survol assez exhaustif de la philosophie occidentale avec des citations de Hegel, Kant, Nietzsche et beaucoup d’autres, un peu aride et difficile à lire. Je retiens cette citation des Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, le livre  qui m’a inspiré le titre de ce blogue : « Il ne me reste plus rien à espérer ni à craindre en ce monde, et m’y voilà tranquille au fond de l’abîme, pauvre mortel, infortuné, mais impassible, comme Dieu lui-même. » Ça illustre assez bien la position des philosophes qui, selon moi, oscille entre un espoir un peu flou et un désespoir qu’ils souhaiteraient être serein.

 

Dans la dernière partie du livre, les auteurs proposent à leurs lecteurs des éléments de réflexion sur l’espoir. « Nous ne voulons pas clore en échafaudant une théorie. Il semble plus fidèle à l’esprit de cet essai de rassembler quelques éléments, des fragments pour la suite, et de les proposer pour que chacun, à son gré, continue le voyage. » Après cette introduction, les auteurs énumèrent une série de caractéristiques suivies de commentaires et d’explications de ce qui constitue l’espoir. En voici quelques-unes :

 

  • L’espoir est pluriel et contradictoire parce qu’il est humain
  • L’espoir est ambigu
  • L’espoir vient du corps
  • L’espoir naît et persiste en chacun
  • L’espoir requiert vigilance et attention
  • L’espoir est inné
  • On choisit aussi l’espoir qu’on se donne
  • L’espoir est un rêve
  • On ne peut prétendre rendre l’espoir complètement raisonnable
  • L’espoir reste un jeu du désir et du hasard
  • L’espoir exige l’attente
  • L’espoir est une dimension de la dignité humaine insuffisamment aperçue

 

Voilà pour le livre ! Maintenant, où est-ce que je me situe, moi, par rapport à tout cela ? Je vais commencer par regarder ce que j’ai espéré au cours de ma vie. Ensuite, je vais  voir ce que j’espère maintenant.

 

À un niveau que je qualifierais de superficiel, j’ai espéré plusieurs choses. Quelques-unes se sont réalisées, d’autres pas. Quand j’étais beaucoup plus jeune, j’espérais qu’un jour je mesurerais six pieds et que je ne perdrais jamais mes cheveux. J’espérais que je voyagerais, que j’apprendrais l’anglais, que j’écrirais de la poésie. J’ai espéré qu’il ferait beau pendant la semaine que j’avais choisie pour prendre mes vacances, qu’il y aurait assez de neige pour faire du ski, que j’allais avoir du succès avec les filles. J’ai même rêvé qu’un jour je pourrais chanter.

 

À un niveau plus profond, j’ai espéré que je serais toujours fidèle à moi-même, que je n’allais jamais trahir mes valeurs les plus profondes, que j’allais me libérer de mes dépendances, que je n’allais jamais perdre la foi (celle de mon enfance, puis celle du début de ma vie d’adulte). J'espérais également, sans même m'arrêter pour y penser parce que je croyais que cela allait de soi, que les personnes qui étaient importantes pour moi seraient toujours là.

 

Et maintenant ? Comment définir l’espoir quand on a 65 ans, qu’on n’a pas d’enfants[4], qu’on sait que dans une quinzaine ou une vingtaine d’années, si on n’est pas déjà mort, on se saura plus qui, où et avec qui on est,  et qu'on aura peut-être la couche collée aux fesses comme un bébé ? On peut espérer mourir dans son sommeil, qu’on ne souffrira pas trop et pas trop longtemps. On peut aussi espérer que les personnes payées pour prendre soin de nous auront de la compassion surtout quand on sait qu'il n’y aura personne qui sera là pour nous protéger.

 

L’espoir, peu importe que l’on considère qu’il est lié à la raison ou aux émotions, dépend du cerveau pour exister. Quand le cerveau cessera de fonctionner, l’espoir disparaîtra avec. Ça, c'est la logique. Et pourtant, je pense à cette chanson que chantait Eva quand j’étais encore adolescent Où s’en vont mourir les rêves ? et je me dis que l’espoir qui a inspiré tant de rêves, qui a poussé des hommes et des femmes à sacrifier leurs vies pour un idéal de dignité humaine et de justice sans attendre de consolation et la promesse d’une vie meilleure ne peut pas disparaître sans laisser de trace. Et je me dis aussi que le dernier espoir que j'ai est de retrouver l'espérance avant de mourir.



[1] Bob Dylan, dont le vrai nom est Robert Zimmerman, a choisi comme nom de scène le prénom de ce poète pour qui il avait une grande admiration.

[2] C’était peut-être Elie Weisel mais je n’en suis pas certain.

[3] Je n’ai jamais entendu parler d’eux.

[4] Je me demande si le fait d’avoir donné la vie, de continuer à exister dans leurs enfants, donne aux parents une dimension de l'espoir que je connaîtrai jamais.



01/02/2017
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