Les rêveries du retraité solitaire

Cette photo de moi a été prise quand j’avais six ans. Quand je la regarde aujourd’hui, 65 ans plus tard, je me demande s’il reste quelque chose de l’enfant que j’étais dans le septuagénaire que je suis devenu. Est-ce qu’il y a des choses qui étaient là et qui sont encore là après toutes ces années ? Si je prends la photo et que je regarde mes yeux d’enfant avec mes yeux de p’tit vieux, je peux voir que j’avais déjà dans le regard de l’angoisse et de la tristesse qui sont toujours là et qui ne m’ont jamais quitté.

Et si je pouvais parler à cet enfant à l’aube de sa vie, moi qui suis au soleil couchant de la mienne qui est aussi la sienne, qu’est-ce que je pourrais bien lui dire pour le guider et l’encourager ? Tout d’abord, je crois que je n’aurais aucune grande vérité à lui révéler. Je ne pourrais rien lui dire pour effacer de son regard l’angoisse et la tristesse qui l’enveloppent parce que je n’en sais pas beaucoup plus que lui sur les mystères de la vie, de la souffrance et de la mort. Je pourrais lui dire de ne pas trop s’en faire et de ne pas trop se casser la tête avec des questions pour lesquelles il n’y a pas de réponses, mais je sais très bien que ça ne servirait à rien. On est comme on est parce qu’on naît comme on naît.

Je crois que je pourrais dire au p’tit bonhomme que j’étais que tout ce qu’il allait vivre au cours de sa vie ne serait pas toujours rose et qu’il y aurait des moments difficiles à passer. Je lui dirais aussi qu’en bout de ligne, il lui resterait quelque chose de tout ça, quelque chose de mystérieux qui ne ferait pas disparaître complètement la tristesse et l’angoisse de son regard, mais qui lui apporterait, même quand il sera devenu vieux, de la joie, du réconfort, de la sérénité et des jours heureux. Mais ça, je crois que le petit garçon de six ans le savait déjà.