Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

240 Sparks

 

Mon amie Martine a récemment publié dans son blogue un article dans lequel elle parle des petits gestes que nous posons et des quelques mots que nous prononçons, quelquefois sans même nous en rendre compte, qui ne nous coûtent rien et qui ne nous demandent aucun effort, mais qui peuvent faire une différence et apporter un peu d’amour et de réconfort autour de nous. Après avoir lu son article, il m’est revenu en mémoire un souvenir lointain qui illustre un peu le propos de Martine.

 

C’était il y a vingt-cinq ou trente ans. J’enseignais le français langue seconde à la Banque du Canada. Du côté est de la Banque, de l’autre côté de la rue Sparks, il y avait un centre commercial. Si ma mémoire est bonne, contrairement aux Galeries de la Capitale, aux Promenades de l’Outaouais ou aux Galeries Lafayette, ce centre commercial n’avait pas de nom. On l’appelait tout simplement 240 Sparks.

 

À l’heure du lunch, et quelquefois pendant la journée, quand on avait du temps libre, on allait là  pour prendre un café ou pour flâner un peu. Il y avait des toilettes publiques au sous-sol, près de la foire alimentaire. Un jour, en sortant des toilettes, j’aperçois derrière moi, du coin de l’œil, un sans-abri qui me suit, un SDF comme ils disent en France. Il est accoutré comme la chienne à Jacques, comme on dit ici, et il a quelques sacs de plastique et de papier pleins de tout ce qu’il possède. Il tient d’une main son pantalon usé et troué pour ne pas le perdre. Je m’arrête pour lui tenir la porte et je lui souris. Nos regards se croisent. Je vois dans ses yeux beaucoup de profondeur et de tristesse... et de la reconnaissance. Il me dit : « Thank you, Sir,… for holding the door for me. It means a lot to me. You know, guys like me…we’re not used to…»

 

Je savais exactement ce qu’il voulait dire. Les gars comme lui ne sont pas habitués à être traités comme des êtres humains comme les autres. Et je savais aussi ce que ce geste et ce sourire signifiaient pour lui. Ce soir-là, avant de m'endormir, j’ai revu le regard de cet homme sans âge et je me suis dit que j’avais bien fait de m’arrêter pour lui tenir la porte et lui sourire.

 

À la suite de l’article de Martine, j’ai lui ai écrit dans mon commentaire que du point de vue spirituel, je me considérais comme un être plutôt médiocre. Je passe mon temps à faire du kayak et du ski de fond au lieu de faire du bénévolat dans une banque alimentaire ou dans un hôpital comme ma soeur Louise ; et je n’ai jamais mis ma vie et ma liberté en danger pour défendre la liberté et la justice. Il reste néanmoins que malgré tout, comme l’a écrit Martine, nous n'avons pas besoin d'être des saints ou des sages pour faire une différence, si petite soit-elle. Nous pouvons quelquefois dépasser ce que nous sommes et être pendant quelques courts instants celui ou celle que nous rêvons de devenir.



14/03/2022
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