Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Quatre regards tristes

La nuit passé, je ne pouvais pas dormir. J’ai regardé, à trois heures du matin, un reportage du National Geographic sur les prisons les plus dures du monde. Il y avait dans une prison du Pérou un jeune homme atteint du sida qui ne vivait pas à l’intérieur des murs avec les autres détenus. Il était exclu par les bandes de criminels qui contrôlaient la vie des prisonniers. Il vivait parmi les déchets et les immondices qui entouraient les bâtisses. On l’a interviewé. Il a dit : « Je n’ai pas de famille. Je n’ai pas d’amis. Je suis seul. » Il y avait dans son regard une tristesse infinie. Après l'entrevue, il s’est levé, il a souri tristement, et il s’est mis à marcher péniblement.

 

C’était en 1976. Elle était debout près d’une bouche de métro de Paris. C’était une de ces personnes sans âge. Elle était obèse et elle avait les jambes enflées. Je me souviens de ses jambes. Elle pleurait. Je l’ai regardée pendant quelques instants en espérant pouvoir établir un contact avec elle mais nos regards ne se sont pas croisés. Sa tristesse était tellement profonde que je me suis senti impuissant à la consoler. Son regard désespérée a laissé dans ma mémoire et dans mon cœur une trace qui ne s’est jamais effacée…même après toutes ses années.

 

C’était un vieillard rescapé des camps de concentration nazis que j’ai vu dans un reportage à la télévision il y a une trentaine d’années. Il faisait partie des triangles roses. Il a parlé de ses amis homosexuels qui n’ont pas survécu. Il a simplement dit « Ils les ont tous tués. » Même si ça s’était passé plusieurs dizaines d’années plus tôt, la souffrance était encore présente dans ses yeux et dans sa voix. C’était comme s’il parlait de quelque chose qui venait d’arriver.

 

C’est un jeune homme d’une vingtaine d’années à qui je suis allé rendre visite dans l’aile psychiatrique d’un hôpital. Il avait des problèmes liés à sa consommation de drogue. Je me souvenais de lui quelques années plus tôt quand il était encore un enfant insouciant et joyeux. Il y avait dans ses yeux de la crainte, de la détresse et du désespoir. Quand je suis parti et qu'il m’a salué et remercié d’être allé le voir, il y avait une tristesse mêlée de douceur dans sa voix. Je pleurais seul dans ma voiture en rentrant chez moi en écoutant une chanson de Leonard Cohen dans laquelle il parle de la souffrance que rien ne semble pouvoir consoler mais en ajoutant cette phrase pleine de réconfort et d'espoir : « Now I greet you from the other side of sorrow and despair, with a love so vast and so shattered, it will reach you everywhere. »

 

https://www.youtube.com/watch?v=sggW4ICjCE8

 

J'espère qu'il y a, de l’autre côté de leur chagrin et de leur désespoir, quelqu'un qui attend ces malheureux pour les consoler et essuyer les larmes de leurs yeux.

 



05/01/2019
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