Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Prurigo nodularis

 

P-R-U-R-I-G-O  N-O-D-U-L-A-R-I-S  La dermatologue a écrit le nom sur un bout de papier. Arrivée à la maison, elle s’est empressée d’aller en ligne pour en savoir plus sur cette étrange et rare maladie. Ce qu’elle a trouvé a confirmé ce que lui avait dit la dermatologue. C’est une maladie incurable qui peut affecter n’importe qui n’importe quand. Il y a même des enfants qui en souffrent. Il existe des traitements et des médicaments qui soulagent un peu mais qui ne guérissent pas. Cindy a lu avec stupeur que cette maladie était aussi appelée maladie du suicide.

 

Pour elle, son diagnostic est arrivé à l’automne 2019, un peu avant le début de la pandémie et du confinement. Elle s’appelle Cindy et habite à San Diego, en Californie. Elle a 27 ans. Quelques mois après avoir commencé à travailler comme comptable, la pandémie est arrivée, et on l’a envoyée à la maison avec son ordinateur. Pendant près de deux ans, elle a travaillé de la maison. Elle est retournée au bureau au début janvier. Elle trouve ça difficile. Elle ne dort que quelques heures par nuit et se sent toujours fatiguée. Son poste de travail est un peu à l’écart, et elle n’a pas souvent besoin d’avoir de contacts avec ses collègues. Elle a toujours été un peu solitaire.

 

Pendant la pandémie, quand tout le monde était confiné, ça n’était pas trop mal. Elle n’aurait pas pu de toute façon aller à la piscine et à ses cours de yoga, et pratiquement personne ne pouvait voir la peau de ses bras et des jambes. Elle n’ose pas se l’avouer parce que ça la fait se sentir coupable, mais elle aurait aimé que la pandémie et le confinement durent plus longtemps...le temps que ça guérisse peut-être et qu'elle puisse recommencer à vivre normalement.

 

Cindy a trouvé un groupe de soutien sur Facebook. Les membres parlent de leurs symptômes, mettent des photos et partagent des trucs. Ils ont tout essayé : la médecine naturelle, l’acupuncture, la psychothérapie, la photothérapie, la cryothérapie, toutes sortes d’onguents et de crèmes, des bains avec un peu d’eau de javel, mais rien ne semble venir à bout de la maladie et leur apporter un véritable soulagement. Avec le groupe, Cindy sait qu’elle n’est pas seule. Elle n’a pas besoin d’expliquer et de décrire en détails ses symptômes pour que les autres comprennent ce qu’elle vit.

 

Au cours des deux dernières années, Cindy a essayé quelques médicaments qui ne l’ont pas vraiment soulagée. Le dernier s’appelait Methotrexate. C’est une forme de chimiothérapie qui affaiblit le système immunitaire. Elle a continué à le prendre pendant un certain temps même si ça ne donnait pas vraiment de résultats. Elle se disait ou espérait que ça allait venir...avec le temps

 

Il existe un médicament appelé Dupixent qui supposément apporte un soulagement réel mais sans pour autant guérir la maladie. Le problème est qu’il coûte très cher : 37 000$ US par année. Cindy a une assurance privée mais qui ne couvre pas le coût de ce médicament.

 

Avec l’assouplissement des mesures sanitaires, les activités normales ont commencé à reprendre en Californie. Il y a deux semaines, trois de ses collègues ont demandé à Cindy si elle voulait partir avec elles pour une croisière d’une semaine dans les Caraïbes. Elle a accepté en se disant que ça allait peut-être lui faire du bien et lui changer les idées. Les deux premiers jours, elle a trouvé ça terrible de toujours se couvrir les bras et les jambes sous le soleil brûlant des Caraïbes. Elle a passé deux nuits blanches à retenir ses larmes pour ne pas déranger la collègue avec qui elle partageait une cabine.  

 

Hier soir, alors que ses amies dansaient près de la piscine, Cindy est montée sur le pont supérieur du bateau. Elle a regardé pendant quelques instants la lune et les étoiles et a versé quelques larmes avant de plonger dans la mer. Alors que le bateau s’éloignait, elle a pu pendant quelques instants entendre la musique et le rire des passagers.  

 

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Je souffre de la même maladie que Cindy. Les symptômes et le pronostic sont les mêmes, mais les circonstances sont complètement différentes pour moi et pour elle. Moi, j’ai vécu 67 ans sans cette maladie et j’ai fait plein de choses que Cindy n’aurait pas pu faire si elle avait continué à vivre. Je suis allé à la plage, j’ai dansé, voyagé, baisé, roulé à vélo en France et en Irlande, fait un travail que j’aimais, etc. La plus grande partie de ma vie est derrière moi et j’en ai profité.

 

Même si la douleur m’empêche de dormir avant cinq ou six heures du matin[1], ça n’a pas tellement d’importance. Je suis retraité. Je peux dormir jusqu’à onze heures et faire une sieste l’après-midi en revenant de faire du ski de fond ou du kayak. Et pendant le temps que j’ai passé à écrire ce texte, je n’ai pour dire pas ressenti de douleur.

 

Ma dermatologue a recommandé que j’essaie le Dupixent. Elle a fait une demande pour que le médicament soit couvert par le gouvernement ontarien ou par mon assurance privée. Nous attendons la réponse. Si elle est positive, ma qualité de vie s’améliorera. Sinon, je continuerai à vivre avec mon prurigo nodularis en profitant au maximum des petits bonheurs que la vie m’apporte.

 

Si j’avais l’âge de Cindy, je ferais probablement la même chose qu’elle.

 



[1] La douleur est plus intense la nuit à cause du taux de sérotonine qui augment ou qui diminue.



01/03/2022
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