Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

En faisant du pouce

J’ai récemment publié un article dans mon blogue en anglais dans lequel je parle d’un gars qui m’a donné une ride quand je faisais du pouce il y a plus de cinquante ans. La raison pour laquelle je me souviens encore de lui est qu’il m’a parlé des aurores boréales pendant toute la durée du trajet entre Ottawa et Montréal. Pour moi, ce gars-là est l’exemple parfait d’un homme habité par une passion qu’il voulait tout simplement partager, sans intentions et sans arrière-pensées. Si j'ai écrit cet article en anglais, c'est que j'ai commencé à parler de ce bonhomme à Maria en anglais, et que je voulais qu'elle comprenne tout ce que j'allais écrire à son sujet.

 

Dans le présent article, pour faire un peu suite à ce que j'ai écrit dans l'autre, j’aimerais me rappeler les différents types de personnes qui prenaient le temps de s’arrêter pour faire monter des pouceux en tentant d’analyser brièvement les raisons qui les motivaient à le faire.

 

J’ai fait du pouce à l’époque où l’on parlait beaucoup de politique au Québec. C’était pendant la décennie qui a précédé le référendum de 1980. Il y avait d’un côté les fédéralistes qui voulaient vous convaincre qu’il valait mieux que le Québec continue de faire partie du Canada, et de l’autre ceux qui souhaitaient que le Québec devienne un pays souverain. C’était de part et d’autre les mêmes arguments que vous entendiez si vous faisiez du pouce au Québec à cette époque tumultueuse.

 

Il y avait aussi ceux qui voulaient vous convertir. Ils voyaient dans le fait de faire monter un pouceux dans leur voiture l’occasion idéale de gagner une âme perdue à Jésus ou de faire de vous un adepte d’un gourou ou d’un illuminé comme il y en avait plusieurs à cette époque.

 

Il y avait aussi ceux qui étaient prêts à assouvir leur appétit sexuel avec le premier venu. Ceux-là avaient quelque chose derrière la tête, et on pouvait le voir à la façon qu’ils avaient de vous regarder du coin de l’œil. Leur regard de travers montait et descendait de votre visage à votre bas-ventre. Un gars qui m’a confié être bisexuel m’a même proposé une partouze avec lui et sa femme.

 

Il y avait les gars qui vous faisaient monter dans leur voiture pour se plaindre : de leur femme, de leur boss, de leur job, du gouvernement. Il y avait des anglophones frustrés de voir les francophones commencer à prendre leur place dans leur pays qui déversaient sur vous leur amertume et leur frustration parce qu’ils savaient que vous ne pouviez pas leur échapper tant et aussi longtemps que vous étiez à bord de leur voiture.

 

Il y avait des vantards qui cherchaient un auditoire à qui parler de leur succès et de leurs réussites : « Moé, j’suis parti de rien. J’suis arrivé à Montréal avec pas une cenne noire dans les poches. Asteure, j’suis plusieurs fois millionnaire. J’ai passé soixante ans, pis j’baise des pitounes dans la vingtaine pis au début d’la trentaine à chaque semaine. »

 

Et il y avait les silencieux. Ceux-là, c’étaient les plus mystérieux. Ils ne vous parlaient pas d’eux-mêmes et ne vous posaient aucune question sur votre vie et sur ce que vous pensiez de la vie, de l’amour et de la politique.

 

Mais la plupart du temps, les gars qui vous donnaient une ride étaient des gars ben ordinaires qui vous parlaient de leur travail et de leur famille, et qui vous posaient des questions sur votre vie et vos intérêts simplement parce que ça avait l’air de les intéresser. Ceux-là ne voulaient vous convaincre de rien. Ils voulaient juste avoir quelqu’un avec qui jaser…peut-être pour se garder réveillés et ne pas s’endormir au volant.

 

Cette époque où tout le monde faisait du pouce est aujourd’hui révolue. Je me souviens qu’il y a une cinquantaine d’années (déjà !), il y avait toujours une vingtaine de pouceux qui faisaient du pouce de l’autre côté du Pont de Québec, en direction de Montréal. Vous alliez au bout de la file et vous attendiez votre tour qui finissait toujours par arriver.

 

Faire du pouce était une excellente façon de prendre le pouls de la société, d’être au courant des idées qui circulaient et des tendances qui s’amorçaient. On rencontrait toutes sortes de bonhommes qui avaient toutes sortes d’idées, qui exerçaient toutes sortes de professions, et qui venaient de toutes sortes de milieux. Je dis bonhommes parce que si vous étiez un bonhomme, c’était très rare que c’était une bonnefemme qui vous faisait monter dans sa voiture.

 

Et quelquefois, si vous aviez de la chance, vous rencontriez un gars comme celui dont je parle dans mon article en anglais, un gars qui enrichissait votre regard, et qui vous donnait accès à une partie de vous-même que vous ne connaissiez pas. Vous n’étiez plus exactement le même avant et après l’avoir rencontré. C’est pour ça que je me souviens encore de lui.

 

 

 

 



02/06/2021
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