Les rêveries du retraité solitaire

Les rêveries du retraité solitaire

Le retour de Publius

Publius Sextus était un scribe qui suivait l’armée romaine il y a un peu plus de deux mille ans. Aujourd’hui, on dirait chroniqueur ou correspondant de guerre. Publius était aussi ce qu’on appellera plus tard un érudit. En plus du latin, il parlait couramment et écrivait très bien le grec. Il avait des connaissances dans plusieurs domaines dont l’architecture, la loi, la littérature, les sciences, l’histoire et même la gastronomie.

 

Publius était souvent dans la lune. Il avait la tête dans les nuages et pensait à toutes sortes de choses en marchant à une centaine de mètres derrière les soldats. Il avait aussi un penchant pour la dive bouteille. Il s’arrêtait souvent pour boire une rasade de vin en admirant le paysage. Ce jour-là, il se disait que ce serait bien s’il y avait un appareil avec lequel on pourrait garder en mémoire des images de personnes et de paysages. Quand il est tombé dans une crevasse en traversant les Alpes dans ce que nous appelons aujourd’hui la Suisse, personne ne s’en est rendu compte. Il est tombé dans le coma et son corps a été recouvert de neige et de glace.

 

Un peu plus de deux mille ans plus tard, un garde suisse du Vatican, Hector Bouvier, en congé avec quelques collègues dans un chalet de montagne qu’ils avaient loué pour faire de la randonnée pédestre dans leur pays d’origine, tombe dans la même crevasse. Au fond de la crevasse, il découvre le corps surgelé de Publius. Ses amis lui lancent un câble pour le remonter à la surface et descendent ensuite chercher Publius.

 

Quelques heures après avoir ramené à leur chalet le corps du scribe, voilà t’y pas que Publius sort de son coma et se met à parler... latin bien entendu. On lui donne un verre de vin et un morceau de fromage. On lui sert un deuxième et un troisième verre de vin. Publius se met alors à chanter une chanson gaillarde que chantaient les soldats romains deux mille ans plus tôt.

 

Au lieu d’alerter les autorités de leur pays, les gars décident de ramener Publius avec eux au Vatican en se disant qu’il serait plus facile pour lui de communiquer en latin au Saint-Siège qu’à la préfecture du canton de Vaud. Ils passent facilement la frontière. Depuis le temps qu’ils traversent régulièrement la frontière, les gardes-frontières ne prennent pas la peine de fouiller le derrière de la fourgonnette où Publius cuve l’énorme quantité de vin suisse qu’il a bu la veille.

 

Publius arrive Saint-Siège avec un mal de bloc qui durera trois jours. Les autorités ecclésiastiques décident de garder le secret sur son existence, et font promettre aux gardes de n’en parler à personne sous peine d’excommunication. On constitue une équipe de prélats dont la tâche sera d’en apprendre le plus possible sur Publius et de l’aider à intégrer et comprendre le monde moderne. Publius se rend vite compte que pour communiquer, il ne peut pas utiliser le latin populaire que tout le monde parlait à l’époque, mais qu’il doit s’en tenir à un niveau de langue plus formel que nous appelons maintenant le latin classique. Les prélats n’auraient pas pu comprendre le sens des paroles des chansons gaillardes qu’il chantait en buvant le vin italien qu’on lui servait à chaque repas.

 

Après six mois d’échange avec Publius, les autorités ecclésiastiques ont appris beaucoup de choses sur la vie des gens ordinaires et l’organisation de la société qui existait il y a deux milles ans. Pour sa part, grâce à ce qu’on lui a raconté, aux films d’archives qu’il a vus et à l’internet, Publius a appris assez rapidement l’histoire de l’humanité. Il a pu voir le déclin et la chute de l’Empire romain, et il a vu comment s’est divisée l’Europe et comment les Européens ont découvert l’Amérique et l’Australie. On lui a parlé de Galilée, de Darwin et de Freud et de l'influence qu'ils ont eue sur la pensée occidentale.

 

D’une part, Publius était à la fois fasciné et émerveillé par la technologie moderne : la télé, les voitures, les avions, les sous-marins, les robots, l’internet, les avancées de la médecine, les vaccins, les opérations à cœur ouvert, les prothèses, etc. D’autre part, Publius a été horrifié de constater que la technologie avait aussi contribué au développement d’armes biologiques et nucléaires qui ont le potentiel de faire disparaître complètement la vie sur la terre. On lui a parlé des philosophes des Lumières et de la Déclaration des droits de l’homme, mais on lui a aussi montré des films d’archive sur l’Holocauste et Hiroshima.

 

Après six mois, Publius a rencontré le pape. Il a dit au Saint-Père qu’il était à la fois émerveillé et déçu par le monde moderne. Ils ont jasé pendant un bon bout de temps comme des vieux amis et Publius a même réussi à faire rire le pape. À la fin de leur entretien, le pape a demandé à Publius comment il aimerait passer le reste de sa vie.

 

Publius vit maintenant dans une petite maison en pierre sur un petit lopin de terre que lui a offert le pape. La maison est située à une dizaine de kilomètres de Rome, pas très loin de l’endroit où il a grandi il y a plus de deux mille ans. Publius lit beaucoup et passe beaucoup de temps en ligne. Il fabrique lui-même son vin qu’il boit en chantant des chansons cochonnes que personne ne peut comprendre.



17/04/2021
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