Les rêveries du retraité solitaire

Dans la partie de la Gaspésie située autour de Percé, d’où viennent les ancêtres de mon grand-père maternel, les Lelièvre, il y a toujours eu beaucoup de mariages entre Canadiens-français et Irlandais. Le père de mon grand-père s’appelait Daniel Lelièvre, et mon arrière-grand-mère, qui était d’origine irlandaise, s’appelait Bridget Driscoll. Mon grand-père avait un oncle qui s’appelait Moïse, et Moïse avait un fils qui s’appelait Elzéar qui a lui aussi marié une Irlandaise : Evelyn Furlong.

Evelyn et Elzéar, c’étaient le jour et la nuit. Autant Evelyn était exubérante et déplaçait beaucoup d’air partout où elle allait, autant Elzéar était tranquille et peu bavard. Mon grand-père, Édouard, était beaucoup comme son cousin Elzéar. Quand Evelyn arrivait quelque part, on le savait. Elle parlait fort et avec un léger accent anglais. Elzéar, lui, il était comme une ombre qui la suivait docilement.

Elzéar était pêcheur à l’Anse-à-Beaufils. Il avait un bateau, et il partait sur la mer très tôt le matin pour aller pêcher le homard, le maquereau et la morue. Il revenait pour souper vers quatre heures et se couchait avec le soleil. Je me demande bien ce qu’il faisait en hiver.

Quand Evelyn a décidé qu’ils allaient vendre le bateau et déménager à Montréal, Elzéar n’a pas eu grand-chose à dire. Lui qui avait passé la plus grande partie de sa vie entre le ciel et la mer, il s’est retrouvé coincé dans un appartement de Saint-Léonard, comme un oiseau dans une cage, dans un univers d’asphalte et de béton. Quelques mois plus tard, Elzéar est mort. Ma tante Blandine m’a dit qu’il était mort d’ennui et de chagrin d’avoir quitté la Gaspésie.

Si j’ai pensé à Elzéar aujourd’hui, c’est que mon ami André m’a envoyé ce matin un courriel avec le lien pour une chanson de Lawrence Lepage intitulé « Mon vieux François. » J’ai répondu à André que la chanson m’avait fait penser à Elzéar et je lui ai parlé un peu de lui. Il m’a suggéré d’écrire un texte au sujet d’Elzéar.

C’est drôle parce qu’hier soir, je songeais à écrire un texte pour mettre fin à mon blogue. J'avais même commencé à le structurer dans ma tête. J’avais l’impression de me répéter et de ne plus rien avoir d’intéressant à raconter. Je n'avais rien écrit depuis plus d'un mois et je me disais qu'il était peut-être temps de passer à autre chose.

Pendant toute la journée, en faisant du ciment et du kayak, je me suis demandé si ce soir j’allais écrire le dernier article que j’allais publier dans mon blogue comme j’avais prévu de le faire ou bien parler d’Elzéar. J’ai choisi de parler d’Elzéar.

Voici la chanson que m’a envoyée André :

https://www.youtube.com/watch?v=KVq2jNLITfw